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aux toiles inspirées de Lesueur et de Poussin ? Chez La Bruyère, d’ailleurs, la manière se fait déjà sentir. Le soin extrême qu’il apporte aux détails est déjà un symptôme de décadence. Quant aux inspirations nouvelles que l’on rencontre dans son ouvrage, et qui semblent un pressentiment du XVIIIe siècle, ce n’est sans doute pas aux influences contemporaines qu’il en est redevable : son horreur pour la guerre, ses réclamations en faveur des pauvres paysans, sentimens qui lui sont communs avec Fénelon, d’autres témérités encore qui n’appartiennent qu’à lui, ce n’est pas à Versailles qu’il est allé les chercher, ou du moins ce n’est chez lui, comme chez Fénelon, qu’une réaction contre les excès dont il était le témoin. Rien ne prouve d’ailleurs qu’il ait eu le moindre rapport avec le roi.

Quant à Boileau, qui s’était déjà, comme Racine, annoncé sous Mazarin, mais qui ne publia que plus tard ses principaux ouvrages, c’est avant tout un critique, épris d’une double passion, l’horreur des mauvais vers, l’amour des bons, se préoccupant uniquement de la poésie, et surtout des finesses et des secrets du métier. Ce qui le frappe surtout chez Molière, c’est la facilité avec laquelle l’auteur du Misanthrope trouve la rime. Ce qu’il va chercher dans la solitude, ce qu’il finit par trouver au coin d’un bois, c’est le mot qui l’avait fui. Sa vraie supériorité est dans la satire littéraire ; dans la satire morale, il est déclamateur : c’est Juvénal et Horace qui lui fournissent son indignation. Si les femmes romaines n’avaient point provoqué par leurs excès la colère de Juvénal, il est à croire que les Françaises du XVIIe siècle auraient trouvé dans Boileau un peintre plus indulgent. Je ne sais s’il est vrai, comme l’affirmait un de ses contemporains, qu’avec lui on ne put parler que de vers, et des siens ; mais c’est une nature exclusivement littéraire, et qui ne dut subir que des influences du même genre : les satiriques romains, et chez nous Régnier et Molière, sont peut-être les seules influences qui aient déterminé la direction de son talent. Or, quand il fut présenté pour la première fois à Louis XIV, en 1669, il avait déjà écrit ses satires littéraires, et ce qui est notable, c’est que, au sortir de cet entretien qui lui valut les premières faveurs qu’il reçut du roi, une pension de deux mille livres, — sa première réflexion, dit Brossette, fut un sentiment douloureux sur la perte de sa liberté, qu’il regardait comme une suite inévitable des bienfaits dont il venait d’être honoré. Peut-être se souvint-il alors des défiances d’Horace à l’égard d’Auguste, et de l’indépendance du poète romain, si facile à effaroucher.

Ainsi, pour nous résumer, Descartes, Corneille, Pascal, sont antérieurs à Louis XIV. Quant aux écrivains formés sous Mazarin, mais dont la fécondité glorieuse est contemporaine des premières années