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devenue moins originale et moins puissante, que la langue, plus délicate et plus souple, a perdu ce caractère de mâle vigueur qu’elle possédait chez Pascal et chez Corneille, qu’elle a conservé chez Bossuet et chez Molière, qu’elle a perdu avec Racine et Fénelon.

Racine et Fénelon, voilà, de tous ces écrivains illustres, les seuls qui appartiennent réellement au règne de Louis XIV. Qu’on admire. et rien n’est plus juste, les séductions infinies du style de ces deux grands hommes, leurs écrits ne sont pas inférieurs peut-être à ceux de leurs devanciers, mais ils dénoncent autour d’eux une infériorité réelle, une décadence qui va aller en s’augmentant. Ce qui est chez eux de la douceur et de la grâce est déjà devenu chez d’autres de la faiblesse et de l’afféterie. Ces qualités charmantes, vous les trouverez aussi chez leurs prédécesseurs, chez Bossuet quand il parle de la duchesse, d’Orléans, chez Molière dans ses scènes d’amour ; mais ce qui chez eux donne tout son prix à ces qualités, c’est que la douceur y est unie à la force : elle plaît alors comme, dans l’ordre moral, la bonté jointe à l’énergie. Il semble en un mot que chez Racine et Fénelon les qualités viriles aient disparu pour faire place à des qualités plus féminines. Comme les femmes, ils ne semblent forts que quand ils sont passionnés. Aussi les rôles les plus animés chez Racine sont-ils des rôles de femmes ; ils ont tous cette vigueur fiévreuse que donnent les crises de la passion, et qui peut s’allier très bien avec l’habitude de la faiblesse. Au contraire, à côté de ces figures si saisissantes et si pathétiques, ses héros ont bien peu de physionomie : qu’est-ce que Pyrrhus auprès d’Hermione, Bajazet auprès de Roxane, Hippolyte auprès de Phèdre ? Il semble que, chez Racine comme à la cour de Louis XIV, les qualités viriles ne soient plus de mise. Regardez les portraits d’hommes qui nous restent de cette époque, ils se ressemblent tous en un point : c’est quelque chose de souriant, de poli, d’indécis. On sent l’empreinte uniforme de la règle et des convenances sur ces masques de courtisans. Les physionomies si marquées qui nous frappent dans les portraits du temps de Richelieu ont disparu pour faire place à une sorte d’uniformité décente et polie. Cet effacement des individus devant le roi ou la nation pouvait être un bien dans la société ; mais au théâtre il faut des caractères plus tranchés, des physionomies plus accentuées. Il est impossible d’être plus convenable que Bajazet et Hippolyte. Ces deux princes accomplis auraient été sans doute cités comme des modèles à la cour de Louis XIV ; mais les mines plus hautes et plus fières de Nicomède et de Rodrigue auront toujours au théâtre beaucoup plus de succès, quoique l’un et l’autre laissent échapper des vivacités que ne se seraient jamais permises ni M. de Dangeau, ni M. de Cavoie.

Est-ce au spectacle de la cour, est-ce seulement à son organisation