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la politique inaugurée par Henri IV et Richelieu ; il conserve à leur place les hommes éminens que lui léguait l’administration de Mazarin : c’était faire preuve d’un bon sens rare, mais dans tout cela, on ne voit guère cette initiative personnelle qu’on se plaît à attribuer au grand roi. Tous ces hommes, qui ont entouré de tant d’éclat les premières années de son règne, il ne les a ni formés, ni choisis, ni surtout remplacés. Ses choix, quand il en fit, furent moins heureux : Villeroy et Chamillard, voilà les hommes qu’il a formés, et ce n’est pas là assurément ce qui a fait la grandeur du règne, ni l’illustration personnelle du roi.

Si son initiative est au moins fort contestable en ce qui concerne la politique, objet assidu de ses préoccupations, doit-on la croire plus réelle à l’égard de la littérature, qui, à en juger par ses Mémoires, semble avoir attiré beaucoup moins son attention qu’on ne le croit généralement ?

Avant la mort de Mazarin, on voit déjà paraître cinq écrivains illustres, qui n’ont pas, il est vrai, écrit encore leurs chefs-d’œuvre, mais dont les trois premiers surtout ont été formés sous le régime précédent : — Molière, La Fontaine, — Bossuet, Boileau, Racine.

Molière, La Fontaine, Bossuet ont à cette époque de trente-cinq à quarante ans. Doit-on croire qu’à cet âge des hommes comme ceux-là ne fussent point en possession de leur génie ? et les doit-on considérer comme des jeunes gens de quelque espérance, dont le roi aurait assuré l’avenir en encourageant leurs débuts ?

Bossuet avait commencé trois ans auparavant à prêcher ses admirables sermons, qui suffiraient à sa gloire. Y voit-on qu’il manquât alors quelque chose à son éloquence ? et n’y trouve-t-on pas un accent plus franc, plus libre, plus original que dans ses chefs-d’œuvre officiels, dans ses oraisons funèbres, où l’étiquette du genre vient gêner son indépendance et imposer à cet esprit si fier et si honnête des altérations assez étranges de la vérité historique, quelquefois même (chose surprenante chez un génie si simple) un langage artificiel, des formules convenues ? Sans doute Louis XIV sut apprécier et récompenser le génie et la vertu de ce grand homme : Bossuet fut évêque ; d’autres, qui ne le valaient pas, avaient été cardinaux et papes. Bossuet fut nommé précepteur du dauphin, mais seulement à la mort de M. de Périgny (qui le connaît ?), auquel on avait confié l’éducation du dauphin avant de songer à Bossuet. Cette éducation nous a valu deux ouvrages immortels ; mais s’il n’eût pas eu à écrire pour ce jeune prince le Discours sur l’Histoire universelle et la Connaissance de Dieu et de soi-même, croit-on que son génie fût demeuré inactif et n’eût pas trouvé d’aussi éclatantes applications ? Et c’est pourtant à ce choix fait par Louis XIV de Bossuet, pour l’éducation