Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/1228

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que la possibilité seule, quand même le fait serait aussi rare qu’on le dit, de la séparation des mères et des enfans ; que l’honneur des femmes sans défense, que l’interdiction de tout développement intellectuel et moral, que les chances de la servitude infligées à un être humain, dont on dispose sans sa participation, sont des choses contraires à la loi de nature et à la loi chrétienne. Ne soyez pas d’une intolérance vraiment intolérable pour ceux qui pensent et disent des vérités manifestes, ne brisez pas leurs presses, ne les pendez pas, ne les brûlez pas ; que des prédicateurs ne défendent plus l’esclavage la Bible à la main, comme si les chrétiens étaient des juifs, ou comme si l’esclavage était en Amérique ce qu’il est en Orient ; que des écrivains n’avancent pas, comme a eu le malheur de l’écrire un fils du brave et infortuné Murat, — que l’esclavage est le pivot de la société américaine, que toute peine mérite salaire, et que le marchand qui a été chercher des esclaves sur la côte de Guinée doit être indemnisé de ses fatigues. — Justifier le mal est pire que de le commettre.

Une seule tentative en faveur des nègres a réussi, c’est l’établissement de Libéria sur la côte d’Afrique. Cette colonie, composée d’esclaves rachetés ou affranchis, est aujourd’hui un petit état indépendant qui prospère, et où une société vraiment philanthropique transporte annuellement un certain nombre de noirs. Cette entreprise a eu deux adversaires : les marchands d’esclaves et les abolitionistes exaltés ; mais elle ne s’est pas découragée, et les progrès de Libéria ne se sont point ralentis depuis son origine jusqu’à ce jour.

Si c’est aux Anglais qu’il faut attribuer l’origine de l’esclavage dans l’Amérique du Nord, il est juste de dire qu’à eux appartient l’honneur des premiers commencemens de Libéria. Après un jugement prononçant qu’il ne pouvait y avoir d’esclaves sur le sol anglais en 1787, on transporta sur la côte d’Afrique quatre cents noirs et soixante Européens. C’est à cette colonie, qui, en 1828, comptait déjà quinze cents Africains, que Jefferson proposa d’admettre des émigrans des États-Unis ; il nourrissait ce dessein depuis 1801. Déjà, en 1816, ce projet avait occupé la législature de Virginie ; la société américaine de colonisation fut organisée en 1817 par M. Finley. Quand on lui adressait des objections, il répondait : « Je sais que ce dessein est de Dieu. » Une dame donna soixante esclaves à la société. Un planteur en affranchit quatre-vingts, un autre soixante. La colonie eut des temps difficiles, et les traversa courageusement. Un petit roi africain qui lui avait vendu des terres, craignant avec raison que sa présence ne fut un obstacle au commerce des esclaves, voulut la détruire ; heureusement elle avait pour chef un homme résolu, nommé Jehady Ashmun ; il fit entendre aux colons de simples