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aux prêtres pour instruire ses noirs, leur apporter les consolations et les secours de son culte, et même il ne repousse pas les méthodistes qui se présentent. C’est quelque chose ; mais est-ce assez ?

J’ai beau faire, beau chercher à être de sang-froid dans une question si grave : les inconvéniens de l’esclavage sous sa forme la plus adoucie révoltent ma raison autant que mon cœur. Et puis, quand il n’y aurait que cet odieux préjugé de la peau[1], qui poursuit ses victimes de génération en génération là même où le signe de la race a presque entièrement disparu, condamne des femmes remarquables par la blancheur de leur teint à partager le sort des gens de couleur, et les repousse de la société et dans le vice[2] ! Ici une question se présente : Y a-t-il ou n’y a-t-il pas quelque chose de fondé dans le préjugé contre la race nègre ? Cette race est-elle à quelques égards distincte de la race blanche et inférieure à elle ? Disons d’abord que la solution de cette question n’a rien à faire avec la justification de l’esclavage, car on n’a pas encore reconnu que les gens bornés doivent être les esclaves des gens d’esprit. De plus, la différence des races n’est pas du même ordre que celle qui distingue les espèces animales entre elles, puisque les unions des noirs et des blancs sont fécondes et donnent des produits féconds. L’unité humaine a été défendue par les plus grands anatomistes et l’est aujourd’hui par M. Flourens et par M. Isidore Geoffroy-Saint-Hilaire. Presque seul M. Agassiz soutient que le genre humain ne peut provenir d’un seul couple. Quand on admettrait cette opinion, contre laquelle s’élèvent des objections de plus d’un genre, il n’en faudrait pas encore déduire le droit d’esclavage, car pour avoir des aïeux distincts, les blancs et les noirs n’en seraient pas moins des créatures douées des mêmes facultés, ayant une âme immortelle et douée de la liberté morale ; ils ne seraient plus de même race, mais ils seraient encore de même espèce. La question de l’esclavage n’est nullement intéressée dans celle de l’identité absolue de l’organisation humaine. Que les blancs et les noirs diffèrent non-seulement par la couleur, mais encore par la constitution de la peau, non-seulement par la configuration extérieure

  1. Ce préjugé commence à diminuer quoique peu. On m’a parlé d’un homme de couleur fort habile en certaines parties de l’industrie sucrière. On avait besoin de lui dans une plantation : il a mis pour condition à ses services qu’il dînerait avec ceux qui les réclamaient. Grand embarras à ce sujet. Enfin voici, après mûre délibération, le parti qu’on a pris. Les vieux parens n’ont voulu entendre à rien et ont préféré dîner dans leur chambre ; les jeunes gens, plus esprits forts, se sont mis à table avec l’homme de couleur. Ce petit fait indique un progrès.
  2. Du reste, la classe des Aspasies quatreronnes diminue, nous assure-t-on, à la Nouvelle-Orléans. En même temps que les Irlandais dépossèdent à coups de poings les noirs libres de leurs fonctions de portefaix, les Irlandaises font une concurrence victorieuse aux belles de sang mêlé.