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une chaleur soudaine ; si le temps se couvre, j’éprouve un froid assez vif. Il faut dire que cette année l’hiver est plus rude que de coutume ; en somme cette Amérique est un pays rigoureux, elle a conservé l’âpreté native des contrées qu’une culture ancienne n’a pas adoucies ; la terre n’a pas encore été échauffée par l’haleine de l’homme.

J’observe les rapports des blancs et des nègres ; les blancs travaillent avec les hommes de couleur, mais ne mangeraient pas avec eux. Il y a à bord un de ces chiens dressés à poursuivre les esclaves marrons dans les bois où ils se réfugient ; on en met quelquefois quarante à la poursuite de ces malheureux. On caresse celui-ci, et autour de moi on dit : C’est un bon chien !


15 janvier.

Après plusieurs alternatives du froid et de la chaleur, qui semblent se combattre, voici la neige. Elle tombe sur les balles de coton, ce qui fait un effet étrange. On nous dit qu’on ne se rappelle avoir vu ici de la neige que deux fois. Tout le monde se presse autour du poêle. J’écoute la conversation des gens qui se chauffent. Un homme dont l’habit est troué au coude a la parole, et parle très bien sur des sujets d’intérêt public et local, sur les rapports de la loi de l’état d’Alabama et de la constitution des États-Unis. En France, il aurait fait faire une reprise à son habit et il entretiendrait rassemblée de ses affaires particulières, ou s’il parlait politique, ce serait pour produire de l’effet. Celui-ci ne songe ni à son habit ni à son personnage ; il discute froidement et nettement un point de droit. Personne ne l’interrompt ni ne le contredit : on l’écoute avec une attention silencieuse. Quand il a dit ce qu’il avait à dire, il se tait, et tout le monde en fait autant.

Ce soir, lumière éblouissante et veut glacial : le midi pour les yeux, le nord pour la peau. Après le coucher du soleil, moment solennel. Le fleuve s’est élargi ; il coule à pleins bords entre de grandes forêts. À travers les arbres, on aperçoit des plages inondées ; on sent l’approche de l’Océan. Demain matin nous le retrouverons à Mobile.


Mobile, 16 janvier.

Malgré la neige, ce phénomène si rare dont je me serais bien passé, nous sommes sous la latitude d’Alexandrie. Aussi Mobile, bien que par extraordinaire il y fasse assez froid, a aujourd’hui un air méridional. Voici enfin des orangers. On vend des cocos et des bananes. Il y a des maisons à colonnes et des tentures devant les maisons pour abriter du soleil comme dans les villes d’Italie. Mobile est traversée par une grande rue où d’autres rues viennent aboutir à angles droits des deux côtés avec cette régularité universelle aux États-Unis, et qui montre que les villes de ce pays ont été faites