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voyage en voiture. Sans cette interruption, on pourrait aller de Québec à la Nouvelle-Orléans par les chemins de fer ou les bateaux à vapeur. C’est deux fois la distance de Paris à Saint-Pétersbourg ; Les voitures sont étroites, la route détestable ; tantôt on trouve des bourbiers, tantôt on passe sur des rondins qui servent de pavé et font horriblement cahoter la voiture. C’était du reste, il y a vingt ans, à peu près la seule manière de voyager en Amérique. Il est peut-être bon d’avoir laissé subsister ce petit reste de route pour mieux faire apprécier l’avantage des chemins de fer. Nous les retrouvons et nous y passons encore une nuit, avant d’arriver, brisés de fatigue, à Montgomery, au bord de l’Alabama ; là nous nous embarquerons sur ce fleuve jusqu’à Mobile, située à son embouchure et qui est une des villes en progrès dans les états du sud.


13 janvier.

L’Alabama coule presque toujours entre des bords abrupts et souvent pittoresques ; c’est ce qu’on appelle des bluffs. Ce ne sont pas les grands murs de rochers du Saint-Laurent, près de Québec, ce ne sont pas les collines ondulées de l’Ohio, ce ne sont pas les masses arrondies de l’Hudson : ce sont des escarpemens qui tantôt pendent au-dessus du fleuve, nus et dépouillés, tantôt se tapissent d’arbustes, tantôt se couronnent d’arbres verts où s’enlacent des lianes ; ailleurs de grands roseaux s’élèvent comme un champ de graminées gigantesques. À travers ces végétations diverses et mêlées, le fleuve déroule ses sinuosités allongées ; çà et là, une petite maison rouge se montre dans une éclaircie ou se dessine sur un ciel d’un bleu clair. L’impression de cette nature est un peu sauvage sans être triste. D’ailleurs la scène est animée par une opération qui se renouvelle souvent. Nous recueillons sur notre route des balles de coton venues des plantations voisines et qui doivent être embarquées à Mobile. Ces balles glissent d’ordinaire sur des planches inclinées qui les amènent au bateau, où elles sont empilées comme des pierres de taille qu’on entasse pour former un mur. En voyant ce mur qui s’élève graduellement tout autour du bateau, je comprends qu’à la Nouvelle-Orléans on ait pu, dans la dernière guerre, construire des remparts de coton contre lesquels venaient s’amortir les boulets anglais. Quelquefois, au lieu de glisser sur des planches, les ballots sont lancés le long d’une pente et arrivent en bondissant jusqu’au bord du fleuve. C’est un spectacle assez amusant de les voir ainsi dévaler ; on suit avec une sorte d’intérêt dramatique la direction de ces masses qui se précipitent. Les unes suivent la ligne droite et arrivent au but sans effort, les autres s’arrêtent en route, et il faut les pousser de nouveau pour les faire parvenir au bas de l’escarpement ; d’autres encore, décrivant