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dans la très agréable compagnie de MM. de Béant et de Villeneuve, tous deux attachés à la légation de France à Washington, avec lesquels je pars pour le sud. Il peut n’être pas inutile de comparer ses propres observations avec des observations différentes, et de les rectifier par la discussion ; puis il y a un si grand charme à retrouver la France au bout du monde ! Je l’ai bien senti à Washington.

Nous profitons pour partir du premier jour où le Potomac est navigable. La rivière est encore prise. Le bateau à vapeur tantôt suit un canal étroit entre deux rives de glace, tantôt brise la glace même, dont les fragmens glissent à droite et à gauche sur la surface immobile du fleuve et la frôlent avec un petit bruit singulier. Tout à coup la cloche du bateau sonne lentement : c’est que nous venons de passer devant Mount-Vernon, où était la demeure et où est la tombe de Washington ; tous les bateaux en font autant. Ce salut spontané et quotidien au souvenir et à la sépulture d’un grand homme m’émeut comme m’a souvent ému le tintement de l’Angélus dans la campagne romaine : c’est l’Angélus de la dévotion à la gloire. Je regretterais de ne point m’arrêter ici pour visiter pieusement ce tombeau et cette demeure modeste où se retira le Fabricius américain, après avoir délivré et fondé son pays, pour mener la vie d’un simple planteur, refusant le pouvoir et donnant un immortel exemple d’abnégation généreuse et sincère ; mais on me dit, ce que j’ai peine à croire, que la tombe est négligée et que la maison de Washington est à louer.

Nous prenons le chemin de fer à un endroit où il commence, au milieu de l’eau, sur des pilotis, et nous entrons en Virginie. Le pays que nous traversons ne ressemble point à la région pittoresque des monts Alleghanys, qui bornent cet état du côté de l’ouest ; le paysage est monotone : partout à l’horizon des collines couvertes d’arbres toujours verts, et plus près de nous des champs de blé ou de maïs. Le soir nous passons par Richmond. Nous apercevons en sortant de la ville, à la clarté de la lune, les rapides du fleuve et les petites îles qui s’élèvent noires au milieu de ses eaux blanchies par la lune. La colline sur laquelle Richmond est bâtie fut le théâtre d’un assaut terrible donné aux sauvages qui s’y étaient retranchés par Bacon, cet insurgé virginien du XVIIe siècle, dont le conseil décida les habitans de James-Town à brûler leur ville naissante. Aujourd’hui Richmond est une florissante cité ; d’autres insurgés plus heureux l’ont depuis défendue contre le pouvoir qu’attaquait Bacon, et l’on ne se souvient plus qu’il y a eu ici des sauvages. Nous nous arrêtons pendant la nuit à Petersburg. Ce nom rencontré là étonne l’imagination, bien qu’elle soit accoutumée en ce genre aux plus singulières surprises. Memphis, Canton, Palmyre, Athènes, Rome, Londres, Paris, sont des étapes du voyageur qui parcourt les États-Unis. La carte de ce pays