Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/120

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
114
REVUE DES DEUX MONDES.

à un marivaudage qui l’amusait. L’artiste, en dix minutes de promenade, fit avec elle plus de frais de galanterie qu’il n’en avait dépensé avec aucune femme depuis qu’il était au monde. Il la soutenait pour franchir les crevasses du sol, il se portait au-devant d’elle, courbant les branches qui faisaient obstacle à son passage, il l’avait débarrassée de son ombrelle, de son châle et de son chapeau, qu’il portait avec une maladresse incroyable, et, tout en cheminant, les petits mots et les petites mines allaient de part et d’autre de telle sorte que Lazare se disait en lui-même : — Voilà une petite dame qui est bien légère ! — Tout ce manège n’échappait point à Adeline, qui était de la part de Zéphyr l’objet de soins absolument pareils à ceux que l’artiste semblait avoir pour sa compagne, car l’apprenti copiait servilement Lazare dans ses moindres mouvemens, il écartait machinalement des branches qui n’existaient pas, et forçait la jeune fille à lui donner la main pour franchir des crevasses absentes. Tout à coup Lazare se retourna et aperçut Zéphyr qui prenait Adeline par la taille : elle avait glissé sur un amas d’aiguilles de pin, et l’apprenti l’avait retenue.

— Zéphyr, lui cria Lazare, descends un peu là-bas ranger mes affaires, et file à Montigny ; nous te rattraperons.

— Mais, répondit l’apprenti, je n’ai pas besoin de me charger, puisqu’il y a des ânes qui nous attendent.

— Alors, répliqua l’artiste, va charger les ânes ; et mène-les au dormoir, où nous te rejoindrons.

Zéphyr descendit dans la gorge, visiblement contrarié. Quant à Lazare, il feignit de ne plus songer à Adeline restée toute seule, et, sans l’attendre, continua sa route avec Cécile, un peu embarrassée des assiduités de son compagnon.

Le même accident qui venait d'arriver à Adeline se renouvela pour Cécile. Elle rencontra les aiguilles de pin qui rendent les chutes si fréquentes dans ces chemins, et elle s’inclinait déjà pour tomber, lorsque Lazare, qui cette fois imita Zéphyr, l’entoura vivement de son bras, et, dans le mouvement qu’il fit pour lui rendre l'équilibre, la serra contre lui peut-être un peu plus qu’il n’était nécessaire. Cécile rougit, Lazare allait peut-être en faire autant, quand arriva au même instant Adeline toute pâle, elle, et si tremblante, qu’elle s’appuya un moment contre un rocher.

— Vous me laissez seule, dit-elle en adressant aux deux jeunes gens un sourire qui était tout un reproche.

— Je pensais que vous aviez accompagné Zéphyr dans la gorge, répondit Lazare froidement.

— Vous ne me l’aviez pas dit, murmura doucement Adeline.

Lazare fut ému ; il quitta le bras de Cécile, qui le remercia par un