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répond : Tu te trompes, berger, je possède une prairie où tes moutons peuvent paître : c’est ma longue chevelure, aux tresses parsemées de fleurs. Je sais une fontaine où les moutons peuvent boire : ce sont mes deux yeux, profonds et limpides comme deux sources ; et, pour préserver mes brebis de la chaleur du jour, je n’ai qu’à jeter sur elles l’ombre de mes noirs sourcils. »

L’empire de virginité n’est pas, du reste, un pays où les belles Slavonnes prétendent séjourner longtemps. Leur aspiration la plus constante est vers la maternité. Pour elles, vivre sans amant, c’est vivre sans gloire. Malheur, disent les Serbes, à l’herbe sans rosée et à la jeune fille sans dika (gloire ou amant) ! Aussi toutes celles qui ne sont pas encore mariées chantent-elles, au retour de chaque printemps, à leurs danses du jour de la Saint-George : « Grand saint George, quand reviendra ta fête, tâche de ne plus me retrouver chez ma mère, fais que je sois ou mariée ou enterrée [ial udata, iali ukopata) ! » Le soir, dans les villages de la Voievodie, on entend les filles chanter en chœur : « Si nous étions ces étoiles qui brillent au firmament, tous les garçons de ce bas monde auraient le cou de travers à force de nous regarder. » Les garçons répondent alors : » Si nous étions comme les fleurs des jardins, toutes les jeunes filles deviendraient jardinières et passeraient leur vie à nous sentir. » Plutôt que de vivre dans le célibat, les jeunes filles slaves souffriraient gaiement toutes les misères. C’est une jeune fille qui chante ainsi, dans le recueil de Vuk :

« Je suis lasse de voir s’écouler ma jeunesse, seule dans ma triste chambre, seule dans mon triste lit, où je me tourne agitée sans trouver de soulagement ; sur la gauche, — personne ; sur la droite, — rien qui vive. Sous ces molles couvertures, je ne rencontre qu’amers soucis. Par le grand Dieu, je ne resterai pas dans cet état. Je vais m’acheter un cheval et un faucon, et m’en aller sur les routes impériales de Stambol chercher aventures. »

On conçoit qu’avec de tels penchans les séductions soient faciles et fréquentes. Les chants populaires racontent d’ailleurs ces accidens avec une naïveté enfantine, qui figure, à s’y tromper, la candeur de l’innocence. Je me borne à deux citations :

« Un cerisier est tellement chargé de fruits que les branches rompent sous le poids. Il n’y a personne pour les cueillir qu’un jeune garçon et une fillette. Le garçon a plus de pudeur que la fillette. Chastement il lui dit : Donne-moi, belle fleur, un de tes yeux. La malheureuse compatissante les lui donne, tous les deux. {Daï devoïko ïedno oko…ona dade i oba dva.) »

— « J’ai gravi la montagne de Verchats, et de là j’ai regardé les plaines de Betchkerek, où les biches bondissent avec les cerfs, et les fillettes avec les jeunes garçons. J’ai mis la main dans mes poches de soie, j’en ai tiré une flèche, et je l’ai lancée contre une biche, contre une belle jeune fille que j’ai blessée au cœur. La malade s’est remise à moi pour que je la guérisse. Je lui ai donné des ligues de la mer à manger : elle ne veut pas de figues de mer ;