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gouslé et plus riche en notes pleines que la guitare même. La tamboura se prête donc aux expressions les plus vives et les plus diverses. Dédaignée par le mâle gouslar, qui la trouve trop peu sévère pour accompagner son chant, elle ajoute aux ballades amoureuses un charme exquis. Il faut remarquer que, complètement étrangères à Katchilj, chez qui tout est héroïsme, et très rares chez le Kosaque Kircha, ces ballades abondent, au contraire, dans le recueil de Vuk, qui leur a consacré un gros volume de six cent quarante pages ; mais le plus grand nombre de celles qu’il a publiées ne méritaient pas cet honneur. Autant elles sont gracieuses de forme, autant elles sont pauvres de sentiment et de pensée. On conçoit que la prédominance de l’héroïsme ou de la vie publique et nationale gêne chez les Serbes l’épanouissement de la poésie domestique. Ici tout le côté sublime de la vie est représenté par l’homme : quand par hasard le sublime se rencontre dans les chants des femmes slaves, il s’y glisse rapide, en quelques vers, et se hâte de disparaître, de peur d’effaroucher les faibles êtres auxquels il n’est pas destiné. En retour, ces chants offrent de parfaits modèles de naïveté, de candeur et de grâce enfantine. Les continuels diminutifs qu’on y emploie leur donnent une physionomie pleine de tendresse. Leurs élisions, leurs aventureuses métaphores ont quelque chose d’oriental. Pour l’admirable justesse de l’expression, pour la concision et le caractère plastique de l’ensemble, on ne peut les comparer qu’aux anciens modèles grecs. Quoi, par exemple, de plus digne d’Anacréon ou de Sapho que ces deux strophes si simples :

« Un amant ébloui de la beauté de sa fiancée, lui dit en la contemplant : Jeune fille, ma rose vermeille, quand tu t’es épanouie, sur qui avais-tu les yeux fixés ? As-tu grandi en regardant le mélèze, ou en regardant la svelte et haut sapin, ou bien en pensant à mon frère le plus jeune ? — O mon brûlant soleil ! Je n’ai point grandi en regardant le mélèze, ni en considérant le svelte et haut sapin, ni en songeant à ton frère le plus jeune ; mais j’ai grandi, ô mon fiancé ! les yeux fixés sur toi. »

Le côté regrettable de ces chansons, c’est la singulière absence du sentiment religieux. Le christianisme, on peut le dire, n’a fait encore qu’effleurer cette poésie. À peine trouve-t-on dans Vuk trois ou quatre chansons qui révèlent une véritable influence chrétienne. Telle est celle du Baptême du Christ [Krchtenie Khristovo) :

« La sainte et verte montagne se déroule resplendissante : ce n’est point une verte et sainte montagne, mais c’est la cathédrale même de la divine Sophie. Sous son dôme chantent les séraphins à six ailes. Parmi eux descend la pure vierge Marie, tenant par la main le Christ, notre vrai Dieu. Les séraphins aux six ailes lui disent : Vierge très pure, pourquoi ne vas-tu pas dans nos verts bocages cueillir une palme choisie ? et puis lu iras trouver Jean le baptiseur pour qu’il baptise ton fils, notre vrai Dieu.