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se produire aux regards de la foule. Il faut avouer qu’ils déconcertèrent quelque peu l’opinion. On s’étonna, sans trop oser le dire, de cette manière brusque et vague en même temps ; chacun fit mine d’admirer cette confusion de tons simulant très imparfaitement les tons riches et variés de la nature, ces formes tourmentées ou anéanties sous la multiplicité des touches ; chacun au fond se consola de n’avoir pas vu plus tôt ces œuvres si bruyamment vantées, et M. Rousseau, tout en restant en possession de sa réputation, perdit beaucoup auprès de bien des gens à ne plus être avant tout une victime de l’injustice. Son talent, il est vrai, a considérablement grandi depuis lors. Il y avait loin déjà des paysages exposés l’année dernière aux paysages qui figuraient aux salons précédens ; le Marais dans les Landes atteste un progrès plus significatif encore. L’exécution, autrefois embarrassée et pesante, a pris ici de la souplesse et de la légèreté ; la manie des tons de détail et ce qu’on pourrait appeler le pédantisme de la clairvoyance ont fait place à un sentiment plus sobre de la couleur. Enfin, au lieu de ces contours informes où quelques-uns prétendaient reconnaître le rayonnement qui unit les corps visibles à l’atmosphère, on ne voit plus que des silhouettes délicatement baignées d’air et de lumière. Il serait difficile de trouver quelque chose à reprendre dans le tableau de M. Rousseau, et cet ordre de peinture une fois admis, on ne peut que louer l’extrême vérité de l’ensemble et des détails. Peut-on rendre plus exactement les vapeurs qui s’exhalent, sous l’action du soleil, d’une terre humide, et se condensent en nuages d’un ton uniformément plombé ? La lueur pâle et voilée qui laisse seulement entrevoir l’horizon, la dégradation infinie des plans qui se succèdent depuis la base du tableau jusqu’aux montagnes servant de fond, tout concourt à donner au Marais dans les Landes l’aspect même de la nature. Ce n’est encore que de la peinture réaliste sans doute, mais cette peinture est excellente, et comme elle n’est, à proprement parler, qu’une étude, il serait injuste de lui reprocher l’absence des qualités nécessaires aux œuvres d’imagination. On peut en dire autant d’un petit paysage de M. Haussoullier, le Mont Saint-Jean aux environs d’Honfleur. Si, au lieu de représenter simplement une habitation entourée d’un jardin le long duquel s’étend une allée de pommiers, le tableau de M. Haussoullier prétendait nous montrer quelque scène grandiose de la nature, à coup sûr ce tableau devrait être exécuté tout autrement ; il s’agissait seulement ici de préciser jusqu’aux moindres accessoires, de laisser à chaque objet son caractère familier, et de tirer toutes ses ressources de la justesse du coup d’œil et de la fidélité de la main. Ces modestes conditions, M. Haussoullier les a remplies avec une exactitude parfaite. : le Mont Saint-Jean semble l’œuvre d’un daguerréotype intelligent, et il figurerait sans désavantage à côté des tableaux les plus lins et les plus achevés de Delaberge.

Il est impossible, nous le répétons, de mentionner dans un examen du salon tous les paysages diversement recommandables envoyés par les nombreux disciples de MM. Troyon et Rousseau. Bornons-nous à constater que dans cette multitude de vues, d’études, de paysages de tout genre, il en est bien peu qui ne révèlent plus de talent qu’il n’en fallait au commencement du siècle, pour arriver à la célébrité. Quelle pauvre mine feraient aujourd’hui les toiles de Demarne, de Dumouy et des peintres de même force qu’admiraient nos