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parmi lesquels il ne faudrait oublier ni MM. Paul Flandrin et Bellel, ni MM. Lanoue et Paul Huet, ni M. Eugène Flandin, qui cette année encore a interprété avec talent la nature et l’architecture orientales, les paysagistes de l’école actuelle se proposent tous pour but unique la reproduction de la réalité. Sans doute il existe bien des différences de détail entre la manière de M. Troyon et celle de M. Rousseau, entre le coloris de M. Dupré et le coloris de M. Coignard, mais les tableaux de ces artistes et de leurs disciples attestent au fond la dévotion aux mêmes principes et la même ardeur révolutionnaire. Je me trompe : la révolution est désormais bien accomplie, et le temps est loin où elle effrayait encore quelques esprits. Les réformateurs n’ont plus besoin de se faire accepter ; ils règnent, non sans s’exagérer peut-être l’étendue des services rendus, sans s’abuser quelque peu sur l’importance de leur rôle ; et le public, habitué de longue main déjà à les croire sur parole, n’essaie même plus de se demander si le beau ne saurait être ailleurs que dans la négation de l’idéal. Il admire la Vallée de la Touque, de M. Troyon, — et il a raison d’admirer ce tableau en tant que portrait énergiquement tracé ; — mais il ne songe pas à remarquer qu’un pareil site et les animaux qui le peuplent ne rappellent en somme que des réalités d’un ordre bien secondaire, que la poésie n’a guère affaire en tout cela, et qu’il n’était pas besoin, pour peindre avec succès une prairie et quelques bêtes à cornes, de choisir une toile au moins aussi grande que les toiles où Poussin nous montre la Mort d’Eurydice ou les Funérailles de Phocion. — Le Chêne de Henri IV, au pied duquel M. Coignard a groupé le troupeau de CHAILLY, — les Menons en tête d’un troupeau de la Camargue, peints par M. Loubon, n’exigeaient pas non plus les vastes dimensions que les deux paysagistes ont cru devoir donner à leurs ouvrages, et quel que soit d’ailleurs le talent dont ils ont fait preuve, on peut reprocher à MM. Loubon et Coignard d’avoir méconnu, à l’exemple de M. Troyon, une des lois de l’art et du goût.

M. Rousseau n’est pas tombé dans la même erreur. Le tableau qu’il a exposé, et qui représente un Marais dans les Landes, est d’une dimension conforme au caractère du sujet : hâtons-nous d’ajouter que c’est là le moindre mérite de cette toile, et que la finesse de l’effet, la vérité et la force, du coloris, la précision du dessin, — qualité rare dans les tableaux de M. Rousseau, — lui assurent tous les genres de supériorité sur les autres paysages de l’école réaliste. Pendant quinze ans à peu près, on a beaucoup plus parlé du talent de M. Rousseau que de ses œuvres mêmes. Assez peu de gens connaissaient celles-ci, mais on savait qu’elles étaient invariablement exclues des expositions annuelles, et il n’en fallait pas davantage pour que chacun criât au scandale et que l’on acceptât de confiance comme des iniquités commises envers un maître ce qui pouvait n’être qu’un conseil maladroitement donné à un talent encore incomplet. La presse avait-elle à signaler à l’administration et au respect publics les chefs de l’école contemporaine : le nom de M. Rousseau figurait même à côté de celui de M. Ingres, et tel écrivain que les ouvrages du paysagiste enthousiasmaient peut-être médiocrement ne mettait souvent ce nom en si haut lieu que pour l’élever au niveau de ses rancunes personnelles. Survint, il y a quatre ans, une réforme radicale dans la constitution du jury de peinture, et les tableaux de M. Rousseau purent enfin