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Si nous l’engageons à lutter contra les entraînemens auxquels il obéit d’ordinaire, c’est que son dernier tableau laisse voir un effort et un progrès : le moment est bon pour se montrer sévère, et une critique en pareil cas peut avoir le caractère d’un encouragement.

Le sujet traité cette année par M. Chassériau est un sujet antique ; mais, contrairement à la coutume de beaucoup de peintres contemporains qui, faute d’autre muse, n’invoquent que l’archéologie, le peintre du Tepidarium semble avoir attaché une médiocre importance aux particularités de costume et aux vérités de détail. Il est assez aisé de transporter sur la toile des statues copiées dans les musées, des accessoires tirés de la collection des vases d’Hamilton ; en revanche, il est difficile de donner à des figures grecques ou romaines le mouvement et la vie, de leur conserver la grandeur, la beauté nécessaires, tout en y ajoutant une physionomie détendue pour ainsi dire ; rien de plus difficile, en un mot, que de faire acte du peintre là où nous sommes habitués à ne voir que l’œuvre froide du sculpteur. Les scènes antiques d’ailleurs, si indispensable que soit l’élévation du style, n’exigent pas toutes, pour être bien rendues, la même sévérité et les mêmes formes. M. Chassériau, qui se proposait simplement de nous montrer des femmes de Pompéi réunies après le bain, aurait donc eu grand tort de convoquer l’Olympe dans ce chauffoir et de grouper, sur la foi de la statuaire, des Vénus et des Junons quand il s’agissait de représenter des créatures humaines ; il aurait commis une erreur non moins grave, s’il s’était contenté d’imiter la réalité lorsqu’il fallait à tout prix l’ennoblir. C’est entre ces deux écueils que l’artiste a louvoyé avec des efforts d’attention qui ne semblent pas lui être familiers, mais qui doivent à coup sûr tourner au profil de son talent. Depuis que ce talent agressif en quelque sorte a essayé de se faire plus humble, ne voit-on pas mieux déjà ce qu’il vaut ? Le sentiment grandiose du geste et de la tournure est la qualité qui domine dans le Tepldarium comme, dans les œuvres précédentes de M. Chassériau ; mais ici cette qualité devient plus évidente par cela même qu’elle est plus sobrement exploitée. Le majesté des têtes est moins souvent déparée par les négligences affectées de la touche ; le modelé n’est plus indiqué avec cette hardiesse brutale du pinceau qui parodiait la sûreté magistrale, et, — condition difficile à remplir en un pareil sujet, — les formes et les attitudes de toutes ces femmes à demi nues n’ont qu’une grâce sérieuse et un charme de bon aloi. Comparez ce tableau à celui qu’ont inspiré, à M. Winterhalter quelques vers, bien discrets pourtant, d’un aimable poète contemporain ; rapprochez les figures du Tepidarium des figures de Florinde et de ses compagnes, — et vous apprécierez aisément la distance qui sépare l’élégance de la gentillesse, la grâce sans voile de la coquetterie en jupon court, et les charmes sévères du gynécée des mignonnes séductions du boudoir. Pourquoi faut-il que M. Chassériau n’ait pas accompli sa tâche jusqu’au bout, et que tous les détails de la composition ne soient pas traités dans le goût qui caractérise l’ensemble ? Pendant qu’il était en voie de réforme, pourquoi n’a-t-il pas renoncé, par exemple, à son dédain accoutumé de la perspective, à ces violences de coloris dont il semble s’être fait une habitude, et qui rompent l’harmonie générale sans renforcer la gamme des tons ? Plus d’un personnage placé au fond a des proportions presque égales à celles des figures placées au second plan, et l’éclat exagéré de certaines