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Ma Sœur n’y est pas, il ne serait pas possible de se méprendre un instant sur les sentimens qui animent les quatre personnages croupés sur cette toile. L’importance que cherchent à se donner les deux enfans et leurs ruses naïves pour dérober leur sœur aux regards de l’adolescent, l’incrédulité souriante de celui-ci et la coquetterie de la jeune fille complice de ce gentil mensonge, tout est senti et rendu avec vérité et une rare délicatesse. Il n’est pas jusqu’aux humbles objets dont le désordre atteste les jeux récens, les deux bambins qui ne parlent à l’imagination et la séduisent. Certain scarabée retenu par un fil intéresse presque autant qu’une figure, et cet ensemble de joies enfantines et d’amour, de tendresse du cœur et de fantaisies puériles, rappelle pour le fond comme pour la forme quelque chose de la délicieuse idylle ébauchée par André Chénier sous le titre de Pannychis. Faut-il ajouter que dans le tableau de M. Hamon l’extrême précision des contours dégénère parfois en sécheresse, que le ton général ne s’élève guère au-dessus de la gamme adoptée d’ordinaire par les peintres qui veulent exprimer un rêve, et que ce ton, parfaitement admissible dans un sujet fantastique comme la Comédie humaine, ne suffit plus lorsqu’il s’agit de traduire une scène de la vie réelle ? Ces critiques seraient fondées sans doute ; mais les imperfections qu’on signalerait ainsi se lient si étroitement aux qualités de l’artiste, qu’il compromettrait peut-être une bonne part de son talent en essayant de se corriger. Le mieux est donc d’accepter ce talent tel qu’il est, incomplet à certains égards, mais au fond très distingué, et de lui savoir gré surtout de ses tendances ouvertement spiritualistes.

Les inclinations de M. Gérôme ne sont pas sans analogie avec celles de M. Hamon, mais elles sont peut-être d’un ordre moins élevé. Depuis le Combat de Coqs, qui commença la réputation du jeune peintre, jusqu’aux tableaux qu’il a exposés cette année, il n’est pas un ouvrage de M. Gérôme, qui accuse rien de plus que le goût de la forme raffinée et l’étude attentive des détails. Nulle part, nous le croyons, on ne reconnaîtrait une pensée inspirée, un instinct tout à fait original. Ce style, tout plein d’archaïsme et surchargé pour ainsi dire de correction, a quelque chose de pénible et de fluet en même temps qui sent l’érudit plus que le poète, et sans contester d’ailleurs le goût et le savoir de M. Gérôme, on peut reprocher à ses œuvres leur froideur intime et en quelque sorte leur perfection. Que l’on examine par exemple. — nous ne dirons pas l’Idylle, qui est vraiment trop dépourvue de signification et d’intérêt, — mais la Frise destinée à être reproduite sur un vase commémoratif : on ne trouvera à y relever ni des failles ni même les inégalités d’exécutions on n’y trouvera pas non plus des intentions fort neuves, l’empreinte d’un sentiment franc et individuel. Cette longue suite de figures représentant les nations dont les produits industriels ont enrichi l’exposition de Londres est disposée conformément aux règles de l’art le plus pur. Chaque personnage est très correctement dessiné, peint et ajusté, — soit ; mais montrez-moi dans cette multitude de types si convenablement produits un seul geste, une seul tête qui ait l’accent de l’invention ? Vous ne choisiriez pas à coup sûr comme spécimen d’originalité les trois figures allégoriques assises au centre de la composition, et qui ne sont que les nouvelles épreuves d’ouvrages déjà tirés à bien des exemplaires. Là comme ailleurs M. Gérôme prouve qu’il a la mémoire ornée, le goût exercé, la main