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honneur de sa fille. Avec ça qu'elle n'est pas aimée, la demoiselle ! Je vais vendre mes seigles du chemin de Larchant pour être prêt à racheter mes trois arpens du Petit-Barrau quand le sabotier s'en ira du pays.

Les deux autres villageois trouvèrent une autre combinaison pour arriver au même but.

Une fois la mine chargée, et sûr de l'explosion qu'elle ferait un jour ou l'autre, le clerc se retira de l'assemblée en mordant sa moustache avec satisfaction, et, jetant avant de sortir un regard sur la nombreuse batterie de cuisine de la Maison-Blanche, il murmura à voix basse : — Voilà des instrumens qui ne se doutent pas que je viens de leur préparer de la besogne.


IV. — la vipère.

Pendant que cette conspiration se tramait contre eux sans qu’ils s’en doutassent, Lazare et Adeline, qui ne dormaient ni l’un ni l'autre, voyaient obstinément passer et repasser dans leur pensée tous les détails des petites scènes dont la prairie aux foins avait été le théâtre pendant la soirée. La découverte de son nom tracé sur le sable auprès de celui de Zéphyr n’aurait peut-être point suffi, en d'autres circonstances, pour faire croire à la jeune fille que l’apprenti était amoureux d’elle ; mais la révélation de Lazare ne lui laissait aucune incertitude. Elle s’expliquait aussi le suicide de l’apprenti et la visite domiciliaire qu’un pressentiment jaloux l’avait poussé à faire dans ses tiroirs. Cependant sa pensée, trop pressée d’aller en avant, s’arrêta à peine sur cet amour de Zéphyr. Elle ne trouvait pour lui dans son cœur que cette sympathie fraternelle qui avait fait naître l’amour du jeune garçon. Un peu de pitié se mêlait peut-être à cette sympathie, lorsqu’elle songeait que l'apprenti souffrait les maux que lui faisait souffrir à elle-même sa passion méconnue ; puis, en se rappelant l’avenir nouveau qui allait prochainement se préparer pour Zéphyr, elle pensa que son amour, né de l’isolement, s’éteindrait dans les agitations d’une existence où toute chose deviendrait pour lui une distraction. C’était là tout ce qu’elle lui accordait à cette heure même où l’apprenti était encore ému par le serrement de main d’Adeline. On sait quelle inquiétude causait à la fille de Protat, la veille même, la crainte que l’artiste ne fût instruit des sentimens qu’elle éprouvait pour lui. L’intimité qui semblait exister entre le peintre et l’apprenti ne lui permettait plus d’avoir de doute. En révélant son amour à Lazare, Zéphyr avait dû nécessairement révéler tout ce qu’il avait découvert de son secret à elle, qui d’heure en heure, depuis deux jours, devenait le secret de tout le monde. Ce-