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ADELINE PROTAT.

cessionnaire accorderait pour les terrains compris dans le tracé, il redoubla leurs regrets de n’être plus possesseurs de ces terrains, et leur haine pour Protat, qui allait profiter de ce bénéfice. — Vous devriez essayer de les racheter au sabotier, leur dit-il : il ne se doute de rien et voudrait se débarrasser de ces pièces du Petit-Barrau, qui sont d’un pauvre rapport ; mais je sais qu’il a déjà refusé de vendre, ne trouvant pas un bon prix. C’est un obstiné qui ne se déciderait à perdre que s’il était pressé par quelque circonstance qui lui forcerait la main, un événement imprévu qui l’obligerait à quitter le pays.

— Pourquoi s’en irait-il ? tout son bien est par ici.

— Il y a des cas où l’intérêt est obligé de céder devant la nécessité. Supposons, par exemple, que l’aventure de la demoiselle avec le désigneux....

— Mais est-elle bien sûre, cette histoire-là ? interrompit l’un des paysans pris soudainement d’un doute.

— Laisse donc aller M. Julien, reprit un autre qui, plus fin que son compagnon, voyait sans doute venir le clerc.

— Je ne m’engage pas à prouver l’histoire, moi, reprit M. Julien. Les affaires de la demoiselle ne me regardent pas ; j’envisage seulement le résultat qu’un éclat pourrait avoir. Si Mlle Protat se trouvait compromise, c’est une personne trop fière pour rester dans le pays, et elle forcerait sans doute son père à le quitter. Dans ce cas-là, le sabotier, qui ne pourrait pas emporter sa maison et ses terres avec sa honte, serait obligé de vendre, et, se trouvant pressé de réaliser, il pourrait, comme vous disiez tout à l’heure, se montrer plus coulant au contrat.

— Et vous dites, monsieur Julien, reprit l’un des paysans, que l’embranchement doit passer dans mes pommes de terre ?

— Dans vos anciennes pommes de terre, répondit le clerc avec intention ; mais, ajouta-t-il, vous comprenez que si Protat est forcé de vendre mal, au moins ne vendra-t-il qu’au comptant.

— J’entends bien. Voilà précisément le guignon ; je n’ai pas le sou.

— Pourquoi n’emprunteriez-vous pas à votre cousin le maréchal-ferrant de Sorques ? Vous pourriez lui promettre une part dans le bénéfice de l’affaire du Petit-Barrau.

— Eh ! répondit le paysan, vous savez bien que mon cousin a été forcé de quitter Sorques à cause d’un charivari que les jeunes gens ont donné à sa fille qui s’était laissée séduire par un militaire.

— C’est vrai, répliqua tranquillement M. Julien en frisant sa moustache, je l’avais oublié.

— Eh mais ! s’écria tout à coup le cousin du maréchal, il en pend autant au nez du père Protat, quand on saura dans le pays le dés-