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Quand l’auteur recherche les conditions de la propriété, quand il étudie la constitution de 1848 avec ses vices, ses lacunes, ses impossibilités et ses défaillances ; quand il sonde le problème de l’instruction publique, quand il soumet la vie et les Mémoires de Chateaubriand à la plus juste et à la plus morale des analyses, que fait-il autre chose que de vivre avec son temps, en abordant successivement les questions sociales les plus actuelles, et en opposant la puissance de la vérité à toutes les influences malfaisantes ? M. Albert de Broglie a eu la croyance de tous les esprits généreux, et cette croyance anime son livre ; elle en fait l’originalité et l’attrait : c’est que la société n’avait besoin de chercher les moyens de se sauver qu’en elle-même, dans la réforme de ses préjugés et de ses vices, dans son énergie, dans un sentiment rajeuni de toutes les obligations morales, dans cette fermeté à soutenir le péril qui éloigne de toutes les réactions extrêmes. Et en effet pense-t-on qu’il suffise de n’avoir plus à disputer sa sécurité à l’émeute, d’avoir sa journée tranquille et ses plaisirs assurés ? Pense-t-on que cela soit assez pour remplir toutes les conditions d’une société bien organisée et virile ? Le malheur des sociétés gâtées par le spectacle des révolutions et par l’amour du repos, c’est de passer alternativement et presque sans transition de la terreur à la quiétude somnolente, d’oublier le matin ce qu’elles étaient la veille, et de ne point se souvenir que leurs préservatifs les plus sûrs sont encore dans la vertu, dans leur instinct du bien, dans leur fidélité à la justice et à la vérité morale. Les événemens le leur rappellent souvent d’une manière assez rude ; des pages comme celles des Eludes morales et littéraires ont le mérite de fixer sous une forme ingénieuse et sensée ces leçons de l’expérience politique. Il y a dans le livre de M. Albert de Broglie deux traits que nous voudrions signaler, parce qu’ils ont leur valeur dans un temps comme le notre. Avec un nom entouré de bien des prestiges, l’auteur des Études ne connaît d’autre moyen de continuer des traditions d’illustration historique, politique et littéraire, que de cultiver son esprit, de s’élever à son tour par sa propre distinction. Il est en cela homme de notre siècle, il cherche la force et l’ascendant réel là où ils sont, dans l’intelligence. La première condition aujourd’hui, en effet, pour aspirer à exercer quelque influence, c’est de montrer à la société qu’on est capable de l’éclairer et de la conduire, de lui faire sentir qu’on a étudié ses besoins, ses tendances, ses instincts. De quelque sphère qu’on vienne, il faut conquérir sa place. L’intelligence crée des noms nouveaux ; elle entretient le lustre des noms qui ont déjà un noble passé comme celui de M. Albert de Broglie. Un autre trait des Études morales et littéraires, c’est l’accent d’honnêteté qui y respire. Le malheur de bien des esprits de nos jours, c’est de ne croire qu’à l’habileté et à la force matérielle. La force morale qu’une conscience honnête peut opposer à toutes les violences, à tous les excès, on ne la connaît pas, ou plutôt on en parle sans s’y fier. Il va cependant une puissance mystérieuse et invincible à la longue dans cet instinct de l’honnêteté qui juge souverainement les faits, les révolutions, les spectacles du monde, indépendamment du succès qui suit le souffle variable du vent, on sent cet instinct élevé dans les essais de M. Albert de Broglie. Plus d’une de ses pages est écrite sous la dictée d’un sentiment sincèrement éloquent. Lorsqu’à propos de Chateaubriand et de ses Mémoires, il traçait le tableau des versatilités de cette âme si étrangement amusée de vanité, c’était une œuvre morale autant que littéraire qu’il faisait. Les Études de M. Albert de Broglie ont leur