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législatives qui se sont succédé depuis un mois. Parmi les travaux de la dernière heure du corps législatif, il y avait quelques autres projets d’une nature assez différente, l’un relatif à la propriété littéraire, l’autre réformant encore une fois la législation criminelle en matière politique. Voici bien des années qu’on s’occupe de rechercher dans quelle mesure peuvent se concilier l’intérêt général et l’intérêt particulier en ce qui touche la propriété des œuvres d’art et de littérature. Cette mesure, on ne l’a point trouvée encore. Si la société a des droits à revendiquer sur les produits de l’intelligence, il est de la plus simple justice du moins que ce ne soit pas trop sensiblement au détriment de ceux que les écrivains et les artistes laissent après eux, tel était le sens du projet présenté au corps législatif. La législation actuelle n’assure la jouissance des droits d’auteur à la veuve et aux enfans que pendant vingt ans, après quoi l’œuvre tombe dans le domaine public. Le projet nouveau garantissait la jouissance de ces droits à la veuve pendant toute sa vie, aux enfans pendant trente ans ; malheureusement ce projet n’a point été voté. Quant à la loi qui modifie la législation criminelle en matière politique, c’est le rétablissement des articles 86 et 87 du code pénal. Seulement la commission législative a fait une distinction importante : elle a rétabli la peine de mort pour les attentats contre la vie et la personne du chef de l’état ; elle a maintenu l’abolition de ce châtiment pour les attentats contre la sûreté intérieure du pays, de telle sorte que la peine de mort en matière politique reste en réalité supprimée. Le rapporteur du corps législatif, M. de La Guéronnière, fait honneur de ce résultat à la civilisation, il n’a point tort en un sens, et il y a aussi une raison dont il ne se rend point compte. Ce n’est pas que le droit n’existe essentiellement ; c’est que, dans un temps comme le nôtre, où tant de révolutions, tant de réactions diverses ont rempli la scène, si la peine de mort était toujours appliquée, l’histoire ne serait qu’une succession d’immolations sanglantes. La civilisation adoucit les maux, tempère les châtimens, oui sans doute ; mais ce qui est vrai aussi, c’est que les révolutions affaiblissent dans la conscience la véritable notion du droit social, et la peine de mort n’est qu’une barbarie inutile quand elle n’a plus sa sanction dans la conscience publique.

C’est la révolution de février, on s’en souvient, qui a aboli légalement la peine de mort en matière politique, déjà supprimée en fait depuis longtemps, et ce n’est point de cela qu’il faut lui faire un crime assurément. Aussi bien cette révolution est déjà de l’histoire avec ses spectacles étranges et ses luttes ardentes ; il semble même qu’il s’opère sous nos yeux une sorte de liquidation de ces années pleines de contusion et d’émotions, et où, à côté de bien des folies, de bien des perversités, de bien des violences inouïes de l’esprit, il s’est produit du moins de justes et éloquentes défenses de tous les droits, de tous les principes de la société. Qu’on observe les œuvres qui paraissent ; beaucoup nous reportent à ce temps, à ses luttes, à ses problèmes, aux mille questions qui l’agitaient : la littérature se mêle à la politique, les études d’économie sociale aux analyses de philosophie religieuse ; on y sent le mouvement d’une révolution ; seulement la révolution s’en est allée, quelques-unes de ces œuvres restent. On pourrait dire que cette époque a produit toute une littérature empreinte d’un esprit conservateur plein de sève et de force ; on en a vu déjà plus d’un témoignage, et les Études morales et littéraires de M. Albert de Broglie sont encore un nouveau fruit de ce mouvement jeté entre deux ères si différentes.