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nous n’avons ici à saisir que le sens général. Aussi bien tout se réunissait pour donner à ces derniers travaux du corps législatif un intérêt particulier ; et le nombre, et l’importance des lois. La parole, sans doute, ne gouverne plus le monde ; elle ne l’éblouit, ni ne le fascine, ni ne le trouble aussi dans ses impétuosités ardentes : contenue dans les limites qui lui sont tracées, doublant sa force par la modération, la parole ne peut-elle pas avoir néanmoins encore sa place et son influence, quand elle s’applique à des intérêts vrais, à des objets sérieux ? Plus d’un trait prouve que la discussion peut amener d’utiles accords, des transactions profitables entre le gouvernement, le corps législatif et le conseil d’état. Le budget, les lois sur le jury, sur l’état-major de la marine, sur les pensions civiles, les modifications apportées à la législation criminelle en matière politique, le projet sur la propriété littéraire, tels sont les objets divers des dernières discussions ou des derniers travaux des commissions du corps législatif ; nous ne les nommons pas tous.

Si quelques-uns de ces projets ont été ajournés, la plupart ont été votés après un examen approfondi. Une des plus importantes de ces lois, celle qui a donné lieu peut-être à la discussion la plus prolongée, est la loi sur les pensions civiles : elle est maintenant adoptée ; elle fait entrer quatre-vingt mille nouveaux fonctionnaires dans le nombre de ceux qui ont droit à une pension de l’état ; elle porte à cent cinquante mille le chiffre des employés auxquels une retraite est assurée. Plus de vingt caisses spéciales de retraite existaient, soumises aux règles les plus diverses, entraînant dans la situation des employés des différentes administrations les inégalités les plus singulières : la règle est la même pour tous aujourd’hui ; l’uniformité existe ; toutes les caisses spéciales sont remplacées par une caisse unique, celle du trésor public. Rien n’est plus juste indubitablement que la sollicitude de l’état pour tous les vieux fonctionnaires, pour tous les vieux services. Aussi n’est-ce point une loi juste dans son principe que nous discutons. C’est une observation générale qui nous vient à l’esprit au souvenir de bien des dispositions législatives ou administratives, expression de tendances étranges que les gouvernemens ne créent pas, qu’ils ne font que recueillir de la société elle-même. N’est-on pas frappé d’un des caractères de notre temps ? Ce caractère, c’est un besoin universel de réglementation, d’organisation, d’agencement en quelque sorte mécanique et uniforme de la société. Qu’il s’agisse de bienfaisance, d’industrie, d’art même, d’administration, de toutes les sphères, en un mot, où se manifeste l’activité publique, la première pensée qui s’élève depuis longtemps, c’est celle de tracer des règles, de tout envelopper dans les réseaux d’un formalisme gigantesque. L’ordre administratif devient une sorte de vaste organisme, de ruche immense où chacun a sa fonction, suit son chemin de tous les jours pour arriver au même but méthodiquement, uniformément, par la force des choses en quelque façon. Il y a eu même des libéraux progressifs, très progressifs, qui ont voulu quelquefois supprimer dans les fonctions publiques ce qu’on nomme l’avancement au choix pour laisser régner souverainement le droit de l’ancienneté. C’était la merveille de la vie administrative mécanique. L’aptitude, sans doute, est ce qu’il y a de plus difficile à vérifier. Faute de cela, il en est un peu ici comme de la conscription, qui a ses conditions d’âge et de taille ; mais l’âge de l’admission dans une fonction publique peut être passé lorsque la capacité se démontre, et alors