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ADELINE PROTAT.

— Eh ! parbleu, Zéphyr.

— C’est juste, continua l’amie d’Adeline ; c’est bien le moins qu’il se dérange pour sa femme.

— Ce n’est pas la peine, fit Adeline, rendue joyeuse par la mauvaise humeur de Lazare. La gaffe est dans le bateau.

— Nous voilà tout à l’heure dans le courant, reprit le jeune homme du même ton bourru ; nous n’en sortirons qu’à la rame.

— Ah ! fit Adeline en riant, je suis un peu marinière, moi. — Et, s’emparant de la gaffe, elle repoussa doucement Lazare en lui disant :

— Allez vous asseoir, je vais vous ramener au port, et en deux minutes.

En effet, elle avait fait attérir le bachot au pied du jardin de son père. L’apprenti se trouvait précisément au débarcadère.

— Donne-moi la main, lui dit Adeline, que je descende. — Et elle serra doucement la main que Zéphyr lui avait tendue.

— Monsieur Lazare, dit le jeune garçon à l’oreille de l’artiste en l’arrêtant au passage, vous ne savez pas une chose ? Mlle Adeline vient de me caresser !

— Va-t-en au diable ! répondit le peintre. — Après avoir rapidement souhaité le bonsoir au sabotier, revenu de son rendez-vous, Lazare se retira sans adresser une seule parole à Adeline, que ce brusque départ, en dehors des habitudes du pensionnaire, rendit à la fois heureuse et fâchée.

— Parbleu ! murmurait l’artiste en regagnant son nouveau domicile, on a bien raison de dire que le cœur des femmes est le royaume du caprice. Cette girouette aux yeux noirs a-t-elle assez vite tourné du non au oui ? Bah ! qu’elle épouse ou non Zéphyr, le principal était qu’elle ne songeât plus à moi ; elle commence à m’oublier, il faut l’aider à finir.


III. — les propos de village.

Comme il entrait à la Maison-Blanche, auberge qui sert en même temps de café, la salle était encore pleine de monde, et Lazare remarqua qu’en le voyant paraître, les groupes rassemblés autour des tables arrêtaient leur conversation, qui semblait très animée. Cette interruption fut de courte durée. Lazare, ayant pris sa clé et son flambeau, quitta la salle pour monter à sa chambre. Dès qu’il eut disparu, les buveurs recommencèrent à arroser d’une aigre piquette les aigres propos que faisait naître la chronique scandaleuse du village.

L’intérieur de la maison Protat était particulièrement sur le tapis. Malgré les précautions prises pour assurer le mystère des événemens dont cette maison avait la veille été le théâtre, la malignité publique, ayant trouvé un texte à glose dans la tentative de Zéphyr, n’avait