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ment à ses lèvres la main de la jeune fille, il lui dit : — Je ne veux point que vous soyez inquiète à cause de moi, Adeline, et je prendrai des précautions… Merci…

Adeline s’échappa et retourna auprès de Cécile.

— Eh bien ! lui demanda celle-ci, et notre épreuve ?

— Ah ! fit Adeline, qui n’y songeait déjà plus ; puis, affectant un air triste, elle répondit : Eh bien ! il n’a pas eu l’air étonné du tout.

— Mais il m’a semblé qu’il te baisait la main ; est-ce une habitude entre vous ?

— Non, fit Adeline ; quand il m’embrasse, c’est devant mon père, et sur le front, comme les enfans.

— Eh bien ! ma chère, en te baisant la main, il t’a traitée comme une femme ; c’est déjà un changement . Fais semblant de t’occuper de Zéphyr, tu en verras sans doute bien d’autres.

En parlant ainsi, elles allèrent ensemble rejoindre l’artiste, qui était debout sur le rivage, regardant l’eau couler, occupé machinalement à compter les étoiles qui s’y reflétaient, tandis que sa pensée retournait en souvenir à ce rêve singulier qu’il avait fait dans le foin.

— Nous allons rentrer, dit décile en se dirigeant vers le bateau, dans lequel elle fut s’asseoir avec sa compagne.

Un brusque mouvement de Lazare fit un instant incliner l’embarcation ; c’était justement près de l’endroit qu’il avait désigné en parlant du sauvetage de l’apprenti.

— Prenez garde, vous allez nous noyer, fit Cécile. Et, après avoir sauvé le futur, vous ne pourriez peut-être pas sauver la fiancée !

— Pardon, dit Lazare, je ne comprends pas.

— Mais, continua Cécile, Adeline ne vous a donc rien dit tout à l’heure ? Elle m’avait cependant quittée pour aller vous annoncer qu’elle acceptait vos propositions relativement au jeune sculpteur.

— Hein ? fit l’artiste étonné ; c’est vrai, mignonne, vous consentez ?

— Mais parle donc ! dit Cécile tout bas à Adeline.

— Dame ! reprit celle-ci, si ce pauvre garçon m’aime tant que ça !

— Tu as raison, ma fille, il faut aimer qui nous aime, dit son amie.

Comme Adeline allait répondre, Lazare imprima une si brusque impulsion à son aviron, que le taquet se brisa, et la rame lui échappa des mains pour s’en aller à la dérive. — Au diable ! s’écria l’artiste avec un accent d’humeur.

— Tu vois, tu vois, murmura Cécile à l’oreille de son amie, il est fâché de la nouvelle.

— Est-ce que nous allons rester au milieu de l’eau ? Je vais appeler le gamin, dit Lazare avec impatience ; il viendra nous rejoindre dans le bachot du voisin.

— Quel gamin ? demanda Cécile.