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Washington, un ensemble d’activité scientifique qui n’est pas sans importance et même sans grandeur. On doit en tenir compte dans une appréciation impartiale de la civilisation des États-Unis.

J’ai eu l’honneur d’être invité à dîner chez le président avec Kossuth, les speakers des deux assemblées législatives, M. Webster, d’autres ministres, et plusieurs des prétendans à la présidence prochaine. Là, j’ai été témoin d’une nouvelle scène de ce drame de la venue de Kossuth en Amérique, dont j’avais vu à New-York, il y a quelques semaines, l’exposition si brillante et en apparence si pleine de promesses. L’action, en avançant, s’est beaucoup refroidie ; elle languit et fait présager un dénoûment assez plat. On n’en est pas encore là. D’ailleurs le président et les hommes politiques qu’il avait aujourd’hui réunis à Kossuth honorent en lui un proscrit illustre à la délivrance duquel ils ont concouru, qui a choisi l’hospitalité de leur pays, et ils se respectent trop pour manquer d’égards envers lui. Il a été placé à la droite de Mme Fillmore, et Mme Kossuth a la droite du président ; mais du reste, ni avant, ni pendant, ni après le dîner, il n’a été fait, à ma connaissance, aucune allusion à la cause de la Hongrie. Je n’ai vu que de la politesse pour l’homme, mais nulle expression à haute voix de sympathie pour sa cause, quoique certainement cette sympathie fût dans tous les cœurs, rien surtout qui pût l’encourager à espérer une intervention politique des États-Unis dans les affaires de l’Europe. Kossuth, qui a le tort d’aimer les costumes de fantaisie, portait une lévite de velours noir, et m’a semblé beaucoup moins imposant dans cette tenue que quand il haranguait, appuyé sur son grand sabre, dans la salle de Castle-Garden, à New-York. Peut-être étais-je moi-même sous l’impression du refroidissement général. Autre chose est un homme accueilli comme un héros par une foule enivré, quand il n’a pas encore dit ce qu’il prétend obtenir et qu’il apparaît seulement comme un martyr de la liberté, et ce même homme quand il s’est montré chimérique dans ses prétentions, malhabile dans ses discours malgré son éloquence, et que le bon sens du peuple qui l’accueillait avec transport a détaché en partie de son front l’auréole dont l’enthousiasme de ce peuple l’avait environné. Kossuth vu de près dans ce salon où on ne le cherchait point, où on évitait de lui parler politique, et où il était forcé, pour dire quelque chose, de discuter sur l’étude de l’histoire et sur les langues ; Kossuth mécontent, mal à l’aise, Kossuth tombé, me paraissait, je l’avoue, tout différent de Kossuth radieux et triomphant.

Si l’on peut être partagé à quelques égards sur le compte du tribun magyar, il est impossible de ne pas s’intéresser sans mélange à Mme Kossuth, courageuse et fidèle compagne du proscrit, et pour