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ADELINE PROTAT.

— Ton arrivée lui a fourni ce prétexte, répondit Adeline tristement. Voilà déjà M. Lazare hors de la maison.

— Ce n’est point être dehors que de pouvoir y venir tous les jours, comme il va continuer à le faire, et d’ailleurs, quand je serai partie, il reprendra sa chambre. Il faudra que je parle à ton père à ce propos.

— Oh ! non, je t’en prie, fit Adeline avec supplication. Quel danger y a-t-il à ce que M. Lazare reste chez nous, puisqu’il ne m’aime pas et ne pense à moi que pour me souhaiter la femme d’un autre ?

— Mais, reprit Cécile, à propos de cet autre, tu aurais dû tout à l’heure faire une expérience sur M. Lazare. Qui sait ? Il ne t’aime pas peut-être parce qu’il ignore que tu l’aimes !

— Quelle expérience ? demanda Adeline.

— Écoute, lui dit Cécile, il n’est pas trop tard pour tenter cette épreuve. M. Lazare te demandait tout à l’heure si tu voulais qu’il se chargeât de rendre un jour Zéphyr digne d’être ton mari : va-t’en lui dire que oui, et fais-lui comprendre que, si tu n’as pas répondu tout de suite, c’est que tu étais gênée par moi. Va, je t’attendrai. Observe l’effet que tes paroles produiront sur M. Lazare ; tu m’en rendras compte. Tu ne comprends rien à cette manœuvre, innocente que tu es ! C’est ce qu’on appelle de la coquetterie. Ou M. Lazare sait que tu l’aimes…

— Comment le saurait-il ? demanda Adeline. Je ne le lui ai jamais dit.

— Eh ! ma chère ! s’écria Cécile, tu embaumes l’amour. — Et elle poussa son amie dans la direction où elle avait aperçu Lazare. Adeline était partie, résolue à suivre ce conseil ; mais, arrivée devant Lazare, elle manqua de courage.

— Tiens ! c’est vous, mignonne Adeline ! lui dit l’artiste, assez étonné de la voir toute seule. Où donc est votre amie ?

— Je l’ai quittée un instant exprès pour venir vous parler, dit la jeune fille.

— À moi ! fit l’artiste.

— Monsieur Lazare, continua Adeline très vite, vous êtes parti ce matin sans mettre vos guêtres de cuir pour aller en forêt ; c’est bien imprudent. Comme il a fait très chaud cette année, il y a beaucoup de vipères. La semaine passée, il y a encore eu un fendeur de lattes piqué ; il a failli en mourir. Prenez donc bien garde. Songez donc ! s’il vous arrivait un malheur…

Et il y avait tant d’inquiétude dans cette recommandation faite d’une voix tremblante, que cela eût suffi pour révéler le sentiment qui la dictait, si Lazare n’en avait point été instruit.

— Merci, chère fille, dit-il à Adeline en la prenant familièrement par la taille, comme il avait l’habitude de le faire. Il allait l’embrasser sur le front, mais il s’arrêta tout à coup, et, portant douce-