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Ce n’est pas en un jour qu’un certain équilibre s’est établi entre ces deux forces, dont l’une tendait à faire prévaloir le pouvoir du congrès, et l’autre à maintenir l’indépendance des états particuliers. Quelques mois après la déclaration de l’indépendance, le congrès établit ou plutôt proclama une fédération américaine. L’insuffisance de cette première constitution fut manifeste dans la guerre, et il fallut conférer une sorte de dictature temporaire et sans danger au général Washington. À la paix, les inconvéniens de la fédération devinrent plus évidens encore, car, la nécessité de la défense commune n’étant plus là, nul lien solide n’existait entre les états ; le gouvernement central n’avait aucun moyen de se faire obéir. En effet, le congrès ne pouvait alors que recommander aux différens états de lui permettre de lever des impôts pour payer la dette publique, ou de faire des traités, et, quand les états ne s’y prêtaient pas, il était impossible de suivre une négociation, comme il arriva pour celle qu’on avait commencée avec l’Espagne au sujet de la navigation du Mississipi.

Il fallait sortir de là. Une convention, composée de délégués des différens états, s’assembla à Philadelphie et forma la constitution actuelle. Cette constitution fut ensuite soumise à des conventions représentatives nommées dans chaque état, qui l’acceptèrent successivement après de longs débats ; ceux de la convention de Virginie sont restés célèbres. En lisant les discours qui furent prononcés à cette occasion, on est stupéfait de voir des hommes éminens poursuivis et troublés de la crainte chimérique que de cette constitution, la plus libérale qu’ait jamais vue le monde, sortît une tyrannie sous la forme d’un congrès, et même un tyran sous celle d’un président ; mais on s’explique ces craintes exagérées, quand on songe que les états appelés à délibérer avaient vécu jusque-là dans une entière indépendance les uns des autres, et se gouvernaient eux-mêmes. Cependant tous finirent par adhérer au projet de constitution proposé par la convention de Philadelphie, et au lieu d’une fédération sans tête et d’un congrès sans bras, voté à huis clos par quelques hommes pour le besoin du moment, au milieu de la guerre, les États-Unis eurent une constitution acceptée par les délégués du peuple entier, c’est-à-dire par le suffrage universel à deux degrés, ce qui est la meilleure forme du suffrage universel.

Avec Washington, la politique des fédéralistes prévalut au milieu des plus grandes difficultés extérieures, appuyée sur la fermeté et le bon sens du président, soutenue par le talent et l’énergie d’Hamilton. John Adams continua Washington. Puis vint Jefferson, qui avait été dans l’opposition sous Washington. Homme différent de la vieille race anglo-américaine et presque semblable à un Français du XVIIIe siècle, esprit très distingué, mais moins sûr, il posa, sous