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peu centralisé que le sont les États-Unis. La même défiance de l’autorité, quelle qu’elle soit, fera toujours pencher les démocrates dans chaque état pour toutes les mesures qui limiteront le pouvoir. Ainsi l’ascendant du parti démocrate a presque partout transporté l’élection des juges des mains du gouverneur dans celles de la législature, puis des mains de la législature dans celles des électeurs. Il tend à rendre électives toutes les fonctions publiques, à en empêcher la prolongation ; il tend à établir partout un système de rotation qui, en renouvelant sans cesse l’administration, prévienne, au prix de la stabilité, le danger qu’un pouvoir puisse abuser de sa force et de sa durée. Voilà par où les whigs et les démocrates d’aujourd’hui se rattachent en principe aux deux tendances opposées dont les fédéralistes et les républicains furent les énergiques représentans ; mais il faut ajouter qu’en fait ces différences sont beaucoup moins prononcées qu’elles ne l’étaient alors, que les deux partis actuels ont plutôt des instincts que des doctrines contraires, que l’ambition personnelle entre pour beaucoup dans leurs luttes. Le plus grand nombre des emplois changeant de possesseurs chaque fois qu’un des deux partis l’emporte, on cherche à faire arriver au pouvoir les chefs de son parti pour arriver avec eux. Rien entre les whigs et les démocrates ne ressemble à la haine qui existe en Europe entre les conservateurs et les révolutionnaires, car aux États-Unis il n’y a qu’une question de plus ou de moins ; personne ne veut détruire la constitution, personne ne peut être soupçonné de revenir en-deçà, personne ne songe à aller au-delà, personne ne veut la monarchie ni l’anarchie. C’est ce qui fait, je crois, la différence des partis en Amérique et en Europe : ceux-ci sont presque toujours secrètement les partis d’un passé que leurs adversaires détestent, ou d’un avenir que leurs adversaires redoutent, du moins on peut les soupçonner de l’être.

Aux États-Unis, les passions politiques s’agitent dans les conditions du présent, nul ne nourrit d’arrière-pensée révolutionnaire ou contre-révolutionnaire, nul ne suppose de pareilles pensées chez ses adversaires. C’est ce qui fait que, malgré tout le tapage des discours et toutes les violences des journaux, il n’y a pas de véritable haine entre les partis, sauf sur un point, l’esclavage, parce que là il y a réellement quelque chose à détruire ou à conserver. Cette question de l’esclavage est d’un si grand poids, qu’elle opère une scission dans les deux grands partis américains, et fait naître des alliances entre les différentes fractions dont ils se composent. Ainsi aujourd’hui une portion des démocrates se sépare du reste et s’allie aux ennemis de l’esclavage ; parmi les whigs, les uns portent à la présidence le même candidat que les abolitionistes du nord, le général Scott, et les autres le candidat des états du sud, M. Webster.