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chapiteaux sont formés d’épis et de feuilles de la même plante. Non loin de là, on a employé pour décorer d’autres colonnes la feuille du tabac, qui produit un effet moins heureux. Au reste, il est naturel à l’architecture d’un pays d’emprunter des décorations à la végétation de ce pays. Ainsi ont fait les Égyptiens pour le lotus et le papyrus, les Grecs pour l’acanthe, les Français, les Anglais, les Allemands au moyen âge pour le trèfle et la feuille de chou. Seulement il faut tirer un bon parti de ces imitations de la nature locale et les employer avec goût. Les cigares me semblent offrir un emploi trop satisfaisant de la feuille de tabac pour l’en distraire.

Je n’ai point trouvé à la chambre des représentans ni au sénat cette tenue négligée et ces habitudes grossières dont j’avais entendu parler, mais chez plusieurs orateurs une grande violence de gestes, des éclats de voix immodérés suivis d’une intonation beaucoup plus basse ; en somme, pas assez de simplicité. L’auditoire était en général très calme, et l’assemblée ne semblait point partager les passions des orateurs. Les tribunes aussi étaient ordinairement fort tranquilles ; seulement, pendant une discussion sur Kossuth, il y a eu un peu d’agitation parmi les représentans : les tribunes ont applaudi. J’ai entendu dire autour de moi : We have a frenck house to day (nous avons aujourd’hui une chambre française). L’on voulait exprimer par là une certaine agitation dans l’assemblée et les tribunes ; mais les chambres françaises, qui ont vu bien des désordres et bien des tumultes, n’ont rien vu qui ressemble à certaines scènes dont le Capitole de Washington a été témoin. Ce n’est point, grâce au ciel, le ton habituel des séances du congrès, et pour ma part je n’ai rien remarqué de pareil. Il faut songer que les États-Unis renferment des portions encore peu civilisées. Un homme qui arrive des extrémités de l’ouest est un peu, en ce pays, comme un Français qui viendrait à Paris des montagnes de la Corse. Faudrait-il conclure des habitudes violentes de cet homme que la vendetta est dans les mœurs françaises ? Un abus plus ordinaire était la longueur des discours. Il y a sur ce sujet des anecdotes incroyables. Maintenant, à l’imitation de la clepsydre de quelques républiques de l’antiquité et du sablier des premiers prédicateurs puritains, on a réglé que la durée des discours ne pourrait pas dépasser une heure. Il n’en est pas de même dans le sénat, où l’abondance oratoire n’est contenue par aucune prescription, et où se trouvent en ce moment les orateurs les plus éminens de l’Union.

Le temps des grandes luttes est passé, alors que M. Calhoun, l’homme du sud, avec son teint basané, son geste ardent, sa dialectique pressante et quelquefois factieuse, luttait contre la parole ample et sonore, contre l’attitude impérieuse et le geste souverain