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un serpent gelé, s’élevaient dans la brume les tourelles brunes de l’institut de Smithson, établissement scientifique de forme bizarre. Les rues étaient blanchies par l’hiver, et au milieu de ces frimas grelottaient, bizarrement dépaysées, les grotesques figures des noirs, car l’esclavage existe dans le district de Colombia, soumis à l’autorité immédiate du congrès ; l’esclavage est à la porte du palais de la liberté.

J’ai le bonheur de trouver à Washington dans le ministre de France, M. de Sartiges, une ancienne connaissance de Rome et d’Athènes : depuis ministre plénipotentiaire en Perse, il représente aujourd’hui l’urbanité française et l’esprit parisien auprès de la froideur américaine, et me parait vivre en fort bons termes avec elle. Pour moi, reçu sous son toit hospitalier, je trouve que la France, et surtout une France aussi aimable que celle de l’ambassade, est bonne à rencontrer en tout pays[1].

Allons au Capitole en rendre grâce aux dieux.

Le Capitule est un monument remarquable. Bien placé sur une petite hauteur, il domine le cours du fleuve et une vaste plaine terminée par quelques collines. Souvenirs à part, cet horizon ne vaut pas l’horizon romain ; il a plus d’étendue que de grandeur, deux choses qui ne sont pas synonymes, quoiqu’on paraisse quelquefois les confondre ici. Du côté opposé à la ville sont placées quelques sculptures de mérites divers : l’Amérique découverte par Colomb, et qui, comme on l’a dit assez plaisamment, est apparemment découverte parce qu’elle est nue, une statue de Washington, de M. Greenough. On y placera bientôt un autre ouvrage du même sculpteur : c’est un groupe remarquable par la pensée et l’exécution, qui représente la race anglo-saxonne dominant et contenant la race indigène. J’ai vu ce groupe dans l’atelier de M. Greenough, à Florence, et il me semble qu’il ornera convenablement le Capitole américain. Le dôme central du Capitole me paraît trop surbaissé, trop écrasé pour l’étendue des bâtimens latéraux. La salle intérieure placée sous la coupole est très belle. D’un côté siège la chambre des représentans, de l’autre le sénat. Les colonnes du vestibule qui conduit à cette dernière assemblée offrent une tentative singulière et assez gracieuse d’architecture indigène ; elles figurent des tiges de maïs groupées en faisceau. Les

  1. J’ai eu beaucoup à profiter dans les entretiens de M. Boileau, aujourd’hui premier secrétaire de la légation française de Washington, après être sorti le premier de l’École polytechnique, ce qui est assez rare pour un diplomate. M. Boileau s’est livré à une étude approfondie du bassin houiller de la Pensylvanie et de l’exploitation de ce bassin : ses entretiens sur ce sujet m’ont dédommagé de n’avoir pu faire dans le pays des mines de for et des houilles une excursion que la saison rendait impossible.