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avec le grand-pensionnaire contient encore de nombreux passages qui peignent son irritation contre les Anglais et le jugement sévère qu’il portait d’eux. Il ne cesse de se plaindre de leur mobilité, de l’absence complète d’esprit politique qui les caractérise et qu’il se plaît à mettre en contraste avec la sagesse des Hollandais, des préjugés étroits, des agitations factieuses auxquelles ils s’abandonnent, et qui les rendent insensibles aux grands et sérieux intérêts du royaume. Il s’étonne de les voir, uniquement préoccupés des prétendus empiétemens du pouvoir et des dangers imaginaires de la liberté, fermer les yeux sur tout ce qui se passe en dehors de leur île, et marchander ou refuser au gouvernement les moyens de contenir l’ambition de la France. Il déplore amèrement l’impuissance où il se trouve réduit, par suite de cet aveuglement, de former avec quelque certitude des projets pour l’avenir, de contracter des engagemens que peut-être il ne pourrait pas tenir, et de se mettre d’avance en mesure contre des éventualités menaçantes. « Si la France, dit-il quelque part, avait donné de l’argent pour amener les choses au point où nous les voyons, elle l’aurait placé à un très bon intérêt : mais en vérité elle peut s’épargner cette peine, car ces gens-ci sont généralement si aveugles, si mal disposés, qu’ils n’ont nul besoin d’être payés pour abandonner complètement le soin de leur propre salut. »

Il y eut un moment où tant de contrariétés furent sur le point de triompher de sa constance. Réduit par les votes opiniâtres et persévérans de la chambre des communes et par la volonté unanime du pays à la nécessité de congédier la plus grande partie de l’armée et de renvoyer la garde hollandaise qui l’avait suivi en Angleterre, trompé dans tous les expédiens auxquels il avait eu successivement recours pour conjurer, pour atténuer cette extrémité si pénible, désarmé ainsi en présence de l’Europe au moment même où il aurait eu besoin de se présenter dans une attitude imposante pour exercer une utile influence sur le règlement de la question d’Espagne, il conçut la pensée de quitter l’Angleterre et de se retirer en Hollande. Il voulait se transporter en personne au sein des deux chambres et leur déclarer que, dans l’impossibilité de surmonter leurs défiances et leurs jalousies, il allait sortir du royaume après avoir fait passer un bill qui les eût autorisées à charger des commissaires pris dans leur sein des soins du gouvernement. Le discours qu’il devait prononcer à cet effet était déjà rédigé, et le texte en a été conservé. Peut-être conservait-il un vague espoir qu’en présence d’une telle menace le parlement deviendrait plus docile ; mais c’était beaucoup compter sur la prudence, et le bon sens des partis. Lord Somers, par ses énergiques remontrances, le fit renoncer à une résolution dont les conséquences eussent été si graves pour l’Angleterre et pour l’Europe entière.