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si différens, comme la proie d’une irrémédiable anarchie. Les sentimens qu’elle lui inspirait devaient être à peu près ceux qu’éprouvaient il y a quelques années, au spectacle des agitations aveuglément passionnées de nos élections et de nos chambres, les chefs de cette aristocratie britannique, devenue à son tour, à force d’expérience, si habile, si pratique, si conservatrice.

Je viens d’indiquer la situation respective de Guillaume III et du peuple qu’il était venu affranchir ; j’ai dit leurs antipathies réciproques et les causes presque nécessaires de cette antipathie. Les correspondances que j’analyse contiennent sur ce point des détails précieux et qui peignent au vif l’état de l’Angleterre à cette époque de transition. Voici comment s’exprime, par exemple, dans une dépêche adressée à Louis XIV, le comte de Tallard, son ambassadeur à Londres :


« Le roi d’Angleterre est très loin d’être le maître ici ; il est généralement haï par tous les hommes considérables et par la noblesse tout entière. Je n’oserais pas dire qu’il est méprisé, car en vérité on ne peut lui appliquer une telle expression ; mais c’est pourtant le sentiment que lui portent tous ceux que je viens de désigner. Il n’en est pas ainsi du peuple, qui est favorablement disposé à son égard, moins pourtant que dans les commencemens. L’amitié que ce prince témoigne aux Hollandais, son intimité avec eux et d’autres étrangers, les avantages démesurés qu’il leur accorde et la faveur déclarée du comte d’Albemarle, qui est un très jeune homme, ont produit l’effet dont je viens de rendre compte. »


La dépêche qui renferme ce passage est du 9 mai 1698. Un an après, la situation avait encore empiré, et, s’il faut en croire Tallard, l’autorité royale avait reçu de singuliers échecs.


« Tout ce qui s’est passé cette année dans le parlement et le mécontentement d’un grand nombre de lords ont tellement affaibli l’autorité royale, qu’on n’en tient presque plus de compte… Rien ne se fait plus dans ce pays que par acte du parlement. Quand une chose est ainsi réglée, on nomme des commissaires pour l’exécuter, et ils sont en quelque sorte indépendans, car le roi ne peut leur donner d’ordres contraires à leur mission, le secrétaire d’état n’oserait pas les signer. Ils sont donc maîtres de l’interprétation, et telle est la confusion où ce pays est tombé, qu’on ne sait à qui s’adresser pour les moindres affaires, aucun des fonctionnaires publics ne prenant sur lui de rien décider ni de rien signer. »


Telle était, dans ses rapports avec le parlement et l’administration intérieure, la situation du prince qui, en matière de politique étrangère, se croyait assez indépendant pour conclure le premier traité de partage, non-seulement sans l’assentiment des deux chambres, mais sans en faire part à ses ministres ! On voit qu’alors on comprenait autrement qu’aujourd’hui l’équilibre des pouvoirs, ou plutôt