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qui pouvaient compromettre à Java la domination européenne. Il n’eût même point approuvé, malgré la ferveur de sa foi sincère, les tentatives d’un prosélytisme basé sur le dogme de l’égalité évangélique. Montrer aux habitans de Java - dans la poignée d’Européens auxquels le sort des armes les avait contraints d’obéir - des frères et non plus des maîtres, n’eût point été, suivant lui, une œuvre sans péril. Il eût consenti cependant à subir cette épreuve, s’il eût cru qu’il en dût sortir le bonheur et le perfectionnement moral de la race indigène ; mais, doutant que la prédication de l’Évangile pût se promettre dans l’Inde un pareil résultat, il demandait qu’à Java une civilisation plus avancée précédât une foi meilleure. Il croyait qu’on pouvait faire des Javanais de bons musulmans, et craignait qu’on ne fît jamais de cette race sensuelle, de ces esprits bornés, que des chrétiens hypocrites. Quant à nous, je ne sais trop quel instinct secret nous empêchait de souscrire à ces raisonnemens. Nous avions vu de fort mauvais chrétiens aux Philippines ; ces pauvres Tagals nous semblaient cependant plus heureux et plus fiers, plus rapprochés de nous que les Javanais. Vis-à-vis des Malais, le protestantisme avait donc pu se montrer infructueux, sans que le catholicisme fût condamné à la même impuissance. Il était un point toutefois sur lequel M. Burger et nous ne pouvions différer d’opinion : c’était l’inopportunité de toute réforme de nature à inquiéter le fanatisme qui avait soulevé en 1825 les provinces du Kedou et de Djokjokarta. Si, suivant la parole du comte de Maistre, les abus valent mieux que les révolutions, la foi religieuse n’est-elle point, dans une certaine mesure, obligée, comme la foi politique, de s’arrêter devant la crainte du désordre qu’entraîneraient ses prédications ?

Après avoir entrevu les habitans des campagnes javanaises, nous étions impatiens de nous trouver en présence des princes qui les gouvernent. Le régent de Tjanjor nous ouvrit les portes de son dalem. Aux clartés douteuses que versaient sous un vaste hangar une douzaine de lampes remplies d’huile de coco, nous pûmes contempler ce descendant des anciens souverains des Preangers. Un étroit turban couvrait sa tête ; une veste de soie rayée pendait le long de son buste amaigri ; un sarong descendait jusqu’à ses genoux, attaché comme un tablier à sa ceinture. La pudeur orientale ne se trouve point à l’aise dans nos vêtemens exigus ; elle aime les draperies, les longues robes flottantes, et si, pour complaire à leurs maîtres, pour leur ressembler du moins par quelque trait, les régens javanais ont dû accepter nos inexpressibles, ils se sont du moins empressés de cacher cette inconvenance sous le sarong de leurs ancêtres. Le résident de Tjanjor voulut nous présenter à la souveraine du dalem, la seule des nombreuses femmes du régent qui, sortie d’un sang non moins