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nous conduira désormais vers Tjanjor. Ce n’est point la flèche élancée de quelque clocher rustique qui désigne à nos regards la place où nous devons chercher ce village javanais ; c’est un épais bouquet d’arbres se dessinant comme une oasis au milieu de la plaine. Tjanjor est caché sous ces berceaux de verdure. Déjà les haies de bambou s’élèvent de chaque côté de la route ; le palmier et le bananier entourent la case indienne ; le bazar, avec ses boutiques de tissus indigènes, succède aux premières maisons des faubourgs. Nous entrons, sans sortir de cette longue avenue, dans le quartier européen. Sur la droite s’élève la maison du résident, à gauche l’hôtel où nous allons descendre. Remarquez en passant la prison et les magasins de café, seuls monumens publics d’une résidence javanaise. Voici le Haloun-Haloun, vaste place plantée de figuiers waringins. Le dalem du régent occupe un des côtés de cette place publique. Une allée contiguë ombrage l’humble mosquée où se fait entendre d’heure en heure la voix de l’iman ou celle du muezzin.

La journée qui suivit notre arrivée à Tjanjor fut consacrée à parcourir les environs de la ville : les rizières nous parurent admirablement cultivées, le paysage se montrait à chaque instant plus varié et plus pittoresque ; mais un silence de mort attristait cette belle campagne. On n’entendait point, comme à Luçon, la guitare résonner sous les toits de bambou ; ni danses, ni chansons ; du bien-être sans joie ; de l’ordre, de la symétrie partout, de la gaieté nulle part. Les Javanais que nous rencontrions demeuraient accroupis sur le bord de la route, le salacot à la main et le regard baissé ; ils n’eussent point osé se relever avant que notre voiture ne fût déjà loin d’eux. Nous avions observé ces marques de soumission craintive à Luçon aussi bien qu’à Java. Les Orientaux ont leurs usages, contre lesquels nos idées européennes auraient tort de se soulever. À Constantinople, ils se prosternent et frappent la terre du front quand le souverain passe ; dans l’Inde, ils s’accroupissent ; aussi n’était-ce point cette déférence à laquelle nous étions habitués qui eût pu nous surprendre ; ce qui nous frappait, c’était la résignation passive empreinte sur toutes ces physionomies. Le mahométisme fait des populations graves et tristes ; le catholicisme fait des populations vivantes ; les Indiens des Philippines en sont un exemple ; un peu de turbulence se mêle sans doute à leur obéissance comme à leurs plaisirs ; ils acceptent le frein, mais ils le secouent comme un cheval qui piaffe. Les Javanais traînent leur joug en silence.

M. Burger écoutait sans impatience le parallèle qu’à l’aide de mes souvenirs j’établissais sans cesse entre les Philippines et les Indes néerlandaises. Il accueillait mes réflexions et s’efforçait d’y répondre. Il était trop bon Hollandais pour ne pas détester les utopies frivoles