Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/982

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et entourée d’un large portique, elle n’a plus le caractère imposant du palais qu’habitait M. Van der Capellen ; elle n’en est pas moins une noble et élégante demeure. Les deux ailes qui flanquent le corps de logis principal sont destinées à recevoir les aides de camp et les hôtes du gouverneur-général.

M. de Rochussen se trouvait à Buitenzorg trop éloigné du centre des affaires ; l’activité de son esprit lui faisait préférer le séjour de Batavia : il avait cependant donné les ordres nécessaires pour que les portes du château qu’il avait cessé d’habiter nous fussent ouvertes, et nous étions certains de trouver sur ce point comme sur tous les autres un accueil empressé. L’intérieur du château de Buitenzorg, désert et en partie démeublé, eût à peine mérité notre visite sans le curieux musée qu’y avaient rassemblé les soins de M. de Rochussen. Il n’y manquait aucune des armes, aucun des barbares trophées que l’on peut rencontrer chez les divers peuples de l’archipel indien. À côté des crânes enfumés ou couverts de bandelettes d’or, orgueil du Dayak dont ils racontent les prouesses, on voyait appendus à la muraille les lances de Sumatra et les javelines de Célèbes, le bouclier de Timor taillé dans une peau de buffle, la carabine de Banjermassing, aux canons octogones et aux cannelures en spirale ; le parang, brutalement forgé comme un couperet ; le kris, dont la lame flamboyante est emmanchée d’une poignée d’ivoire ; le klewang, dont le fer damasquiné laisse pendre près de la garde une sinistre houppe de crins ou de cheveux teints en rouge. Quelques-uns de ces glaives étranges avaient été recueillis sur le champ de bataille. La plupart avaient bu du sang humain. On nous montra des poignards que la superstition des princes eût payés du prix d’une province, car ces kris javanais avaient leur histoire comme les grandes épées de nos chevaliers, et leur vertu talismanique, confirmée par maint assassinat. Nous avions ainsi sous les yeux l’image, je dirai presque le symbole du degré de civilisation qu’ont atteint les divers groupes de la Malaisie. Le couperet féroce des Dayaks et des Harfours ne semble pas appartenir au même âge historique que la carabine rayée des Malais ou que le kris enrichi de pierreries des habitans de Java. Les peuples de Bornéo, de Bourou, de Céram, avec leurs armes grossières, ne sont encore que des sauvages. Ceux de Sumatra, de Célèbes, de Bali, ont appris les raffinemens de la politique et de la guerre ; aussi font-ils usage d’instrumens de destruction plus perfectionnés. Les Javanais sont armés comme des courtisans soupçonneux plutôt que comme des soldats. Chez eux, la guerre a cessé d’être l’état normal de la société. Ils songent moins à se prémunir contre une attaque ouverte que contre une trahison. Le poignard au fourreau étincelant est la seule arme qui brille à leur ceinture. L’examen de ces riches panoplies fut pour nous une occupation remplie d’intérêt : il ne nous apprit point