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au-dessus du niveau de la mer ; mais des sommets du Salak et du Guédé, perdus dans les nuages, la brise du matin apportait à travers les bois une douce et bienfaisante fraîcheur. Trois heures après notre départ de Batavia, nous entrions, sans avoir ralenti notre course échevelée, dans le village de Buitenzorg.

Ce sont surtout les employés du gouvernement qui voyagent dans l’intérieur de Java : c’est pour eux qu’a été organisé le service des postes, pour eux aussi que chaque chef-lieu de résidence possède un vaste hôtel placé sous la surveillance et le patronage de l’administration. L’intervention de l’autorité s’étend à Java jusqu’aux moindres détails. Tout est simple et facile avec son concours. Quant au voyageur abandonné à lui-même, il pourrait bien regretter quelquefois, je dois l’en prévenir, la libre concurrence des colonies anglaises. Les frais de poste sont considérables ; les prix seuls des hôtels, réglés comme tout le reste par les soins du gouvernement, sont assez modérés. Notre nombreuse caravane alla descendre à l’hôtel Bellevue, et chacun de nous put y trouver une chambre et un lit. Jamais hôtel n’a mieux mérité son nom que celui de Bellevue à Buitenzorg. Du pavillon où nous attendait un déjeuner tout européen, nos regards plongeaient sur une mer de verdure. Toute la chaîne du Salak se déployait devant nous avec ses ravins tapissés de forêts, avec ses terrasses couvertes d’épis déjà mûrs, et, presque sous nos pieds, le campong chinois dessinait comme une île de briques au milieu des vergers indigènes.

Pendant que nous admirions ce ravissant paysage, les heures s’écoulaient sans qu’aucun de nous parût y songer. Les rayons du soleil tombaient presque d’aplomb sur la plaine : à Batavia, notre journée eût été terminée ; mais à Buitenzorg, bien qu’on ne jouisse pas encore de la température modérée des hauts plateaux de l’intérieur, on peut cependant se permettre de sortir quelquefois en plein midi. Nous prîmes clone, malgré l’heure avancée, le chemin du château, qui avait été le séjour habituel des prédécesseurs de M. de Rochussen. Ce fut la munificence de la compagnie des Indes qui, vers l’année 1745, fit de la province de Buitenzorg l’apanage princier des gouverneurs-généraux de Java. Les districts dont se composait cette province furent vendus en 1809 à des particuliers, et le gouvernement hollandais n’en conserva plus qu’un seul, au centre duquel on vit s’élever en 1816 la somptueuse retraite destinée au premier fonctionnaire de la colonie. Un tremblement de terre renversa en 1826 ce château, qu’on avait construit d’après un plan trop vaste pour qu’il pût reposer avec impunité sur la base d’un volcan. Quand on en releva les murs, on prit soin de les mettre, par un dessin plus modeste, à l’abri d’une nouvelle commotion du sol. La résidence actuelle du gouverneur-général n’a qu’un seul étage. Surmontée d’un belvédère