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général Séguier porte la parole et soit éloquent en sa faveur ; de là une lettre à M. de Maurepas, accompagnée d’un nouveau billet un peu plus expressif pour M. Séguier, billet que le ministre copie avec la même docilité que le précédent. Voici d’abord la lettre insinuante adressée au vieux ministre :


« Paris, ce 30 août 1776.
« Monsieur le Comte,

« J’irais me mettre à vos pieds ce matin, si je n’avais pas un rendez-vous arrêté chez M. l’ambassadeur d’Espagne[1]. Il est bien doux à mon cœur de voir que le respect qu’on vous porte rend chacun vain et jaloux de faire quelque chose pour vous plaire. M. Séguier, apprenant que vous aviez eu la bonté de recommander la célérité de mon affaire à M. le premier président et à M. le procureur général, n’a pu s’empêcher de dire à un de ses amis qui est des miens : — Une pareille recommandation m’eût rendu bien éloquent dans cette affaire. Oh ! les hommes ! Ne vous lassez pas, monsieur le comte, de faire de bonnes actions… Je ne vous demande que votre signature à la lettre ci-jointe et votre cachet sur l’enveloppe : à l’instant mon affaire acquiert des ailes, et je vous aurai l’obligation d’avoir recouvré trois mois plus tôt mon état de citoyen, que je n’aurais jamais dû perdre.

« Je suis, avec la plus respectueuse reconnaissance, etc.

« Beaumarchais. »


Voici maintenant la lettre pour l’avocat-général, rédigée par Beaumarchais et que signe docilement M. de Maurepas :

« Versailles, ce 30 août 1776.

« J’apprends, monsieur, par M. de Beaumarchais, que, si vous n’avez pour lui la bonté de porter la parole en son affaire, il est impossible qu’il obtienne un jugement d’ici au 7 septembre. La partie des affaires du roi dont M. de Beaumarchais est chargé exige qu’il fasse assez promptement un voyage ; il craint de quitter Paris avant d’être rendu à son état de citoyen, et il y a si longtemps qu’il souffre, que son désir à cet égard est bien légitime[2]. Je ne vous demande nulle faveur sur le fond d’une pareille affaire, mais vous m’obligerez infiniment si vous contribuez à la faire juger avant les vacances.

« J’ai l’honneur d’être bien véritablement, etc.

Maurepas. »


On reconnaît combien la situation de Beaumarchais est changée depuis le procès Goëzman : il n’a plus seulement pour lui l’opinion, il a pour lui le pouvoir, ce qui ne l’empêche pas de cultiver avec le même soin la faveur publique ; car en même temps qu’il prend ses précautions du côté du ministère et se ménage la parole officielle de l’avocat-général Séguier, il choisit pour défenseur un avocat qui, presque seul, a constamment refusé de plaider devant le parlement

  1. Pour l’affaire d’Amérique. Le gouvernement espagnol s’était associé au gouvernement français et se préparait aussi à appuyer en secret les Américains.
  2. On voit que la recommandation devient ici plus expressive, malgré la restriction d’étiquette qui l’accompagne.