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lier s’engage à remettre tous les papiers du roi, Beaumarchais s’engage seulement à lui délivrer un contrat de 12,000 livres de rentes, ainsi que de plus fortes sommes dont le montant lui sera remis, dit la convention, pour l’acquittement de ses dettes en Angleterre. Chacun des deux contractans se réserve ainsi une porte de derrière : si les plus fortes sommes ne paraissaient pas assez fortes au chevalier, il comptait garder une portion des papiers pour en obtenir de plus fortes encore ; Beaumarchais de son côté, n’entendant point payer toutes les dettes qu’il plairait à d’Éon de déclarer, demande au roi la faculté de batailler, pour employer son expression, avec la demoiselle d’Éon, depuis 100 jusqu’à 150,000 francs, se réservant de lui donner l’argent par fractions, en étendant ou resserrant la somme d’après la confiance que lui inspirerait le chevalier.

D’Éon commence par exhiber un coffre de fer bien cadenassé déposé chez un amiral anglais, son ami lord Ferrers, en nantissement, dit-il, d’une dette de 5,000 livres sterling. Il déclare que ce coffre contient toute la correspondance secrète. Ici embarras de Beaumarchais : il n’est pas autorisé à visiter ces papiers ; s’il donne de l’argent, il peut recevoir, dit-il, en échange, des comptes de blanchisseuse. Après un nouveau voyage à Paris pour demander à inventorier les papiers, il obtient enfin cette autorisation, et, à l’ouverture du coffre, il se trouve que le lord Ferrers, créancier, réel ou simulé, n’a reçu en nantissement que des papiers presque insignifians. D’Éon avoue alors en rougissant que les papiers les plus précieux sont restés cachés sous le plancher de sa chambre. « Elle me conduisit chez elle, écrit Beaumarchais au ministre, et tira de dessous son plancher cinq cartons bien cachetés, étiquetés : Papiers secrets à remettre au roi seul, qu’elle m’assura contenir toute la correspondance secrète et la masse entière des papiers qu’elle avait en sa possession. Je commençai par en faire l’inventaire et les parapher tous, afin qu’on n’en pût soustraire aucun ; mais pour m’assurer encore mieux que la suite entière y était contenue, pendant qu’elle écrivait l’inventaire, je les parcourais tous rapidement. »

On voit que Beaumarchais était homme de précaution ; alors seulement il paie la créance de lord Ferrers, qui lui remet en échange une somme égale de billets souscrits par le chevalier d’Éon, et il se prépare à partir pour Versailles avec son coffre. Le chevalier naturellement ne trouvait pas les fortes sommes assez fortes ; mais, la transaction du 5 octobre n’embrassant pas seulement la remise des papiers et obligeant d’Éon au costume de femme et au silence sur tous ses anciens démêlés avec les Guerchy, Beaumarchais lui tint la dragée haute.


« J’assurai, écrit-il à M. de Vergennes, cette demoiselle que, si elle était