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l’avenir, et de là elle étend son regard vigilant jusqu’à l’horizon du monde. Le rôle de l’homme d’état est précisément tout l’opposé du sien. »

C’est sans doute une position très-forte pour un journal que d’être l’organe de l’opinion publique. On peut faire tête à bien des adversaires lorsqu’on sent derrière soi tout un peuple; mais le miroir n’est fidèle qu’autant qu’il reproduit toutes les variations de son modèle : de même on ne saurait se trouver toujours en accord parfait avec le courant des idées populaires, à moins de suivre la foule dans toute la mobilité de ses impressions. C’est une servitude différente de celle contre laquelle le Times proteste, mais qui a aussi ses mauvais côtés et ses dangers. Cette perpétuelle mobilité qu’on est contraint de subir et d’absoudre chez la multitude, la pardonnera-t-on à un journal? L’autorité du Times sur les classes élevées et intelligentes n’a-t-elle pas déjà souffert des brusques évolutions que ce journal ne justifie que par le besoin de demeurer en communion d’idées avec le public? Pour nous mettre à un point de vue plus élevé, la foule a-t-elle toujours raison, et faut-il la suivre jusque dans ses erreurs? Ce sont là des questions qui, pour être résolues, nécessiteraient une comparaison étendue de la presse anglaise avec la presse française, qui a toujours été essentiellement une presse de partis. Nous devons donc les ajourner, car il nous faut achever avant tout de faire connaître l’organisation intérieure et les moyens d’existence des journaux de Londres.


III.

On ne connaît encore en France que bien imparfaitement ce qu’on nous permettra d’appeler le mécanisme de la presse anglaise. Un journal du matin se compose de huit pages grand in-folio divisées chacune en six colonnes, soit en tout quarante-huit colonnes; c’est presque le double des plus grands journaux français. La première et la huitième pages, c’est-à-dite la surface extérieure du journal, sont consacrées aux annonces; la seconde et la troisième contiennent les débats des deux chambres et, à leur défaut, les extraits des enquêtes parlementaires, les assemblées générales des compagnies de chemins de fer, ou bien encore les prix courans des marchés, les documens commerciaux ou industriels qui, pendant la session, passent à la sixième page. Les matières importantes sont réservées pour la quatrième et la cinquième pages, qui forment la surface intérieure du journal : la quatrième contient les annonces des théâtres, le sommaire des séances des chambres et les articles politiques, au nombre de quatre au plus, de la longueur d’une colonne en moyenne. La cinquième page est occupée par les nouvelles du jour, le bulletin de la cour, les audiences ou les réceptions ministérielles, la malle des Indes, celle des Antilles ou celle des États-Unis, selon la date du mois, et la correspondance de France ou celle d’Irlande suivant leur importance. La sixième page est consacrée aux correspondances étrangères et à l’analyse raisonnée de la Bourse, et quand la place est libre, à l’analyse des pièces de théâtres et des livres nouveaux. La septième est remplie par les comptes-rendus des tribunaux.

Telle est invariablement la composition d’un journal du matin. On sera sans doute frappé du peu d’espace qu’y occupe la politique proprement dite,