Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/91

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

acrimonie le ministère tory, il a soutenu contre lord John Russell les droits de sir James Graham à la direction de l’opposition. Le Chronicle défend donc en politique les principes des hommes qui s’intitulent conservateurs libéraux, pour se distinguer à la fois des tories et des whigs. En économie politique, ce journal est le libre-échangiste le plus décidé de la presse anglaise. En religion enfin, le Chronicle, comme M. Gladstone, est le défenseur ardent de cette fraction de l’église anglicane qui voudrait affranchir l’église de la tutèle spirituelle de l’état, qui revient à la réforme d’Henri VIII, qui tend à renouer la tradition ancienne, et par là se rapproche de l’église romaine, et qu’on appelle l’école puseyite.

Aujourd’hui le Chronicle a pour rédacteur en chef M. Henri Williams Wills. On doit reconnaître que la transformation que ce journal a subie lui a été favorable. Depuis 1849, il a fait une place plus grande et plus régulière à la littérature, et il a publié sur la question religieuse, sur l’éducation, sur l’état des classes agricoles et laborieuses en Angleterre, sur l’agriculture des diverses parties du continent des séries d’articles du plus grand mérite et du plus haut intérêt. Une partie de sa polémique trahit une plume d’un talent élevé et flexible et d’une aisance toute mondaine. Si même il pouvait nous être permis d’assigner des rangs après des années de lecture assidue et de commerce quotidien avec; la presse anglaise, nous n’hésiterions pas à dire que le Chronide est le journal anglais dont la rédaction est la plus variée, et offre au lecteur l’intérêt le plus constant. Les correspondances étrangères sont la partie faible de ce journal, surtout la correspondance parisienne, qui fait tache avec le reste de la rédaction; il est impossible de rien imaginer de plus ridicule, de plus niais et de plus ignare que ce recueil de commérages qui trahit une complète ignorance des hommes et des choses de notre pays.

Le Times occupe dans la presse anglaise une place à part. Il n’est enrôlé sous la bannière d’aucun parti, et il n’a de relations habituelles et avouées avec aucun homme politique. Il a été longtemps le défenseur des lois sur les céréales, il est aujourd’hui libre-échangiste, mais il a accepté le libre-échange sous toutes réserves, comme un fait accompli et irrévocable plutôt que comme un principe infaillible qu’on doive appliquer partout. Il est de fait l’adversaire du parti protectionniste, et pourtant il ne perd pas une occasion de maltraiter M. Cobden, M. Bright et toute l’école de Manchester, qu’il poursuit incessamment de ses sarcasmes. En politique, le Times n’a pas davantage d’opinions arrêtées : il use largement du droit de changer d’avis et du droit de se contredire. Après les orateurs de la ligue, la fraction radicale de la chambre des communes est l’objet favori de ses attaques, et pourtant il vient de se déclarer récemment partisan d’une nouvelle réforme parlementaire, et il a attaqué comme insuffisante la loi proposée l’an dernier par lord John Russell. Le Times a combattu avec acharnement la politique de lord Palmerston comme trop tracassière et trop guerroyante : aujourd’hui il est le plus belliqueux des journaux anglais. Chacune de ces contradictions semble augmenter son autorité au lieu de l’affaiblir, et aucun journal au monde n’exerce sur son pays une influence qui approche de celle du Times sur l’opinion publique en Angleterre.

La grande fortune du Times est du reste toute récente. Il y a quinze ans,