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l’organe de ce qu’on appelle en Angleterre l’école de Manchester. Ce patronage ne semble pas avoir porté bonheur au Daily News. On ne saurait imaginer de débuts plus brillans que ceux de ce journal. Dickens y a publié des Lettres sur l’Italie et diverses séries d’articles, et les autres écrivains n’étaient point indignes d’un tel collaborateur. Les opinions du journal étaient, en politique et en religion, d’un libéralisme très-décidé, mais qui n’avait rien d’exagéré; elles étaient défendues avec vivacité et avec esprit, mais en même temps avec une modération de langage et un bon goût qui ne sont pas ordinaires à la presse anglaise. Des articles de critique littéraire distingués, des travaux remarquables sur les classes laborieuses et sur les districts manufacturiers répandaient beaucoup de variété sur ce journal, et en rendaient la lecture intéressante. Soit épuisement des écrivains, soit économie, toute cette partie du Daily News a disparu pour faire place aux comptes-rendus de l’association pour la réforme électorale et parlementaire et à d’autres remplissages. Dickens s’est séparé du Daily News pour fonder et rédiger une revue populaire, et l’on est tenté de croire que de nombreux changemens ont eu lieu dans le personnel de la rédaction, car le Daily News a beaucoup perdu de sa valeur littéraire, et le ton habituel du journal est tout à fait changé. Le libéralisme du Daily News aurait pu prendre une teinte radicale assez prononcée sans que la forme s’en ressentît ; mais ce journal ne se borne plus à censurer l’aristocratie et l’église établie, il les diffame : à des satires fines et spirituelles ont succédé des philippiques violentes et exagérées ; la brutalité et la grossièreté ont trop souvent remplacé, dans la polémique, la vivacité et la verve.

Depuis le jour où il est sorti des mains de Daniel Stuart, le Post est toujours demeuré fidèle au parti tory. Ce journal a été l’organe spécial de la sainte-alliance, et il est encore l’avocat inflexible de toutes les légitimités déchues : il est carliste en Espagne et miguéliste en Portugal; il a été le partisan déclaré de l’alliance russe, même aux jours où florissaient la quadruple alliance et l’entente cordiale; aussi ses adversaires ne se faisaient pas faute de l’appeler le journal de la Russie. Il est assurément le journal de prédilection de l’aristocratie et du monde élégant, et il reçoit le premier confidence des fêtes et des mariages de haut parage; aussi une partie de l’espace réservé par les autres journaux à la politique est-elle consacrée par le Post aux nouvelles du monde fashionable, aux allées et aux venues de la cour et des familles aristocratiques, au compte-rendu des courses et des chasses, à l’analyse des livres et des recueils à l’adresse du grand monde. Ces relations avec le grand monde et la chancellerie russe ont été très-profitables pour le Post, qui est longtemps demeuré dans les meilleurs termes avec les représentans des puissances à Londres; c’est à lui naturellement que la diplomatie continentale s’est adressée chaque fois qu’elle a eu besoin de faire démentir un bruit, ou de livrer à la publicité, sans qu’on en sût l’origine, une nouvelle ou un document. Ces communications précieuses étaient un des élémens de la prospérité du Post; nous ne savons s’il en conserve aujourd’hui le privilège. En effet, un changement singulier s’est opéré au sein de ce journal il y a maintenant deux ans. Le Post était l’adversaire des whigs, et par suite de lord Palmerston; néanmoins on apprit un matin que son rédacteur en chef était nommé à un poste diplomatique très-lucratif. Cette nomination inattendue a eu pour résultat