Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/854

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rêves. Plus de difficulté pour expliquer les rapports de l’âme et du corps, plus de nécessité de recourir aux chimères de l’harmonie préétablie, de l’influx physique et des causes occasionnelles. En même temps l’origine des idées est découverte ; elles ne viennent pas de l’âme, elles ne viennent pas du corps ; elles viennent de l’âme et du corps. Le corps en est la cause matérielle, l’âme la cause efficiente. Le corps donne les fantômes, sans lesquels l’intelligence ne comprendrait pas, et de ces images sensibles l’âme exprime les conceptions intentionnelles qui sont les idées. L’intelligence humaine est bien faite pour comprendre l’universel, mais elle ne pourrait l’atteindre, ou du moins elle ne l’atteindrait qu’en général et d’une manière imparfaite et confuse, si les images déterminées des objets sensibles ne lui étaient données par l’organisation corporelle à l’effet d’en abstraire les conceptions intellectuelles nécessaires à la connaissance parfaite. C’est pour son plus grand avantage que l’âme est unie au corps. Séparée du corps, l’âme intellective perd l’instrument de son opération parfaite. Elle n’en peut donc être à jamais séparée, car ce serait contraire à sa nature.

Ce que c’est que de parler sans contradicteur, et de citer dans un langage aujourd’hui peu usité un auteur aujourd’hui peu étudié. On vous donne avec confiance ces vieilles formules « comme une belle et simple solution par laquelle la raison catholique a fait cesser toute dispute parmi les philosophes chrétiens touchant une si grave question. » Le monde sait en effet si les disputes ont cessé, même dans le sein de l’église, sur la question de l’origine des idées depuis l’an 1471 que parut la première édition datée de la Somme de saint Thomas, Et d’ailleurs, comment la doctrine qui vient d’être résumée pourrait-elle satisfaire la juste curiosité de l’esprit humain et dissiper tous ses doutes ? Comment l’unité de substance du corps et de l’âme en expliquerait-elle clairement les rapports ? Ce n’est pas de savoir s’ils sont unis qu’il est question, c’est de savoir ou plutôt de conjecturer comment deux substances ou, si l’on veut, deux natures aussi différentes peuvent être en communication et dans un certain rapport d’action et de passion. Ce n’est pas le fait, c’est le comment du fait qui étonne, qui trouble, et plus vous aurez rapproché, confondu les deux substances, plus vous aurez épaissi le voile derrière lequel se dérobe ce mystère de notre nature. L’âme connaît et le corps sert à connaître, voilà un fait certain et familier. Comment le corps ou la matière, qui ne connaît rien, peut-elle transmettre à l’intelligence les élémens de la connaissance ? Quand vous soutiendrez que l’intelligence ne saurait connaître sans cela, vous aurez fait un pas vers une proposition tant soit peu périlleuse de M. de Tracy, savoir qu’une intelligence sans organes est incompréhensible ; vous aurez peut-être