Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/847

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

a été ignoble, abjecte, ineptie de l’orgueil, imperturbable effronterie.

On comprend que la raison philosophique dans les temps modernes n’est pas traitée par l’orateur avec plus d’indulgence. Elle est stupide et coupable ; quand elle est spiritualiste, elle est inepte ; si elle affirme un dieu, c’est l’athéisme avec l’hypocrisie de plus. Laissons ces misères. Le tableau que le père Ventura trace de la philosophie moderne est loin d’être frappant ni complet, et nous trouvons ici plus d’assertions que de raisons. Ses critiques sont des armes émoussées par l’usage, et qui, dans d’autres mains, ont porté de plus rudes coups ; mais le trait saillant, ce qu’on était déshabitué de lire, et ce qui nous choque le moins, c’est que le grief principal contre la philosophie est moins d’avoir propagé le doute et l’erreur, — elle ne faisait en cela qu’obéir à sa nature, — que d’avoir décrié et renversé « une philosophie véritable, une philosophie raisonnable dans son but, naturelle dans son principe, solide dans son fondement, sûre dans sa méthode, heureuse dans ses résultats, utile dans ses conséquences. » À ces traits, vous devrez reconnaître la scolastique.

Nous conviendrons que la chute de l’empire de Constantinople, et plus encore peut-être la découverte de l’imprimerie, répandirent, vers la seconde moitié du XVe siècle, une connaissance plus délicate et plus complète de l’antiquité, surtout de l’antiquité grecque, et que l’on vit alors poindre l’aurore de la renaissance. L’esprit moderne a ainsi commencé, et il faut accorder aux auteurs d’une polémique devenue fameuse que ce commerce intelligent avec le génie d’un passé qui n’était pas chrétien est devenu le signal, si ce n’est la cause, d’une grande révolution morale que l’église ne saurait en tout bénir. Ce fut une restauration du paganisme, dit M. Ventura ; les premiers coups contre la scolastique datent de là. Il est vrai, Platon se vengea d’Aristote ; car la scolastique n’était pas, comme on sait, si exclusivement chrétienne dans ses origines, que le péripatétisme, par des causes, suivant moi, plus accidentelles que générales, ne se fût étroitement entrelacé à la théologie orthodoxe. J’admettrai moins facilement que l’esprit byzantin ait exercé une grande influence sur la réforme. Quoi qu’il en soit, la réforme suivit la prise de Constantinople, l’imprimerie, la renaissance des lettres antiques, et elle s’éleva tout d’abord contre l’église et contre sa philosophie. On connaît les anathèmes dont Luther poursuivit la scolastique, et quoiqu’à son point de vue il reprochât à la scolastique d’être une science profane, sans aucun doute, en l’attaquant comme le reste, il contribua à préparer l’avènement de cet esprit d’indépendance qui devait aussi protester, mais contre tout le moyen âge. Cinquante ans se passèrent entre la mort de Luther et la naissance de Descartes ; nous ne mettons entre l’un et l’autre aucun lien intellectuel, si ce n’est que l’indépendance