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d’incertitude toutes ses connaissances, pour donner droit de le récuser lorsqu’il prononce, parce qu’il est à la fois juge et témoin, il y a une doctrine fondée sur cette récusation de l’esprit humain, et cette doctrine, au fond toute semblable à celle qui lui refuse des principes nécessaires de vérité et de connaissance, et qui lui conteste le droit et la puissance d’arriver à aucun savoir, cette doctrine, soutenue sous sa première forme par M. de Bonald, admise sous la seconde par le père Ventura, elle porte un nom fort connu : elle s’appelle le scepticisme.


II

Après avoir établi peut-être surabondamment notre dissidence sur le fond, nous serons moins sévère pour un genre de raisonnement que le père Ventura emprunte bien encore au scepticisme, mais qui, renfermé dans de justes limites, a sa valeur et sa force. Vous les connaîtrez à leurs fruits, dit-il des philosophes. C’est un valable moyen de discussion que d’examiner, que de comparer entre eux les différens produits de la réflexion et de tirer de la discordance des systèmes, de la succession pour ainsi dire périodique des écoles, quelques inductions contre la certitude de la science, et surtout contre l’infaillibilité de la raison. On ne peut contester à notre prédicateur le droit de se servir de cet argument, encore qu’un peu usé, et il s’en est servi en consacrant deux conférences à l’examen des œuvres de la raison philosophique dans les temps anciens et modernes ; mais plus cette critique de la philosophie venait naturellement dans son sujet, plus il eût été désirable qu’elle fût présentée d’une manière saisissante, et qu’un certain choix dans les preuves, un certain bonheur dans la forme, sauvassent la trivialité du fond. Nous ne pouvons nous défendre de dire que ces deux conférences sont parmi les plus faibles du recueil. Nous ignorons où en est la science de l’antiquité en Italie ; mais elle doit être encore assez florissante pour qu’on fût en droit d’attendre ici une connaissance plus exacte des systèmes, un emploi plus judicieux et plus équitable des autorités. En France du moins, il est nécessaire et facile de ne point parler des écoles grecques sans les connaître, et l’on y éviterait par exemple d’attribuer à l’école de Platon la doctrine de Protagoras, contre laquelle Platon a écrit un dialogue, et qu’il poursuit avec acharnement. La philosophie antique, c’est la philosophie grecque. Or le père Ventura semble ne la connaître que par la philosophie latine, et il ne cite guère que Cicéron. Nous pourrions réclamer. Cicéron aimait passionnément la philosophie ; il en dissertait avec beaucoup d’élégance et de charme ; il exposait les systèmes avec un rare talent, et quelques-uns