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de M. de Lamennais est caché dans le disciple de saint Thomas.

La doctrine de saint Thomas est celle-ci : — Les vérités divines, ou, si l’on veut, théologiques, sont de deux sortes, les unes accessibles à la raison, les autres non. Celles-ci comme celles-là peuvent être et sont révélées ; mais celles-ci ne sont que révélées. Les premières seules sont l’objet d’une science selon la raison. Les premières et les secondes, mais surtout les secondes, sont l’objet d’une science selon la révélation ; puisque la révélation complète la vérité, la science selon la révélation achève la science selon la raison, qu’elle surpasse, mais qu’elle ne détruit pas.

Et voilà, pour emprunter le langage de M. Ventura, la véritable distinction entre la raison catholique et la raison philosophique. L’une peut, si l’on veut, dépasser, perfectionner, éclairer l’autre, mais elle ne l’anéantit point. On aura beau faire, il sera toujours certain que Dieu, ses attributs généraux, sa bonté, sa puissance, sa providence, que l’âme, son unité, ses facultés, son immortalité, que les principes fondamentaux de la morale peuvent être connus de la raison, non pas parfaitement connus, — rien n’est connu parfaitement d’un être imparfait, — mais suffisamment pour le plein repos de l’esprit et pour la conduite de la vie. Il sera toujours certain qu’à côté de ces idées philosophiques et religieuses il y en a d’autres, telles que la Trinité, l’incarnation, la rédemption, qui surpassent la raison, en ce sens que la raison à elle seule n’y parviendrait jamais, — et celles-là, il était nécessaire qu’elles fussent révélées, et comme telles elles se font croire d’autorité, mais elles sont connues par la foi. Si l’on veut qu’elles soient mieux connues encore, elles doivent être exposées, expliquées, ordonnées avec méthode, et elles deviennent alors l’objet d’une science, de la théologie sacrée, qui est aux vérités de la révélation ce que la philosophie est aux vérités de la raison. Si ces vérités ne sont pas contraires les unes aux autres, et la vérité ne peut jamais être divisée contre elle-même, pourquoi la philosophie et la théologie seraient-elles opposées entre elles ? Celle-ci suppose les mêmes vérités que celle-là, et non-seulement elle les suppose, mais encore elle les confirme en y ajoutant des lumières nouvelles. L’une n’est donc pas nécessairement opposée à l’autre, quoiqu’elle en soit distincte, et de ce que l’une soutient qu’elle est supérieure à l’autre, pourquoi conclure que celle-ci soit nulle ? car c’est de nullité qu’il s’agit. Ou les mots ne signifient rien et tout est déclamation, ou l’école dont je parle tient la philosophie pour néant ; ce qui est dire en d’autres termes qu’aucune vérité touchant les choses divines ne peut être connue par la raison. Nous verrons plus tard si cela est vrai, et s’il serait utile que cela fût vrai. Dans tous les cas, c’est ce que saint Thomas n’a pas dit.