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de ce qu’était alors la presse anglaise : « Le rédacteur en chef, avait-il dit dans un avis au public, se flatte de montrer bientôt, dans le cours de sa difficile entreprise, qu’il n’a négligé aucune combinaison de nature à procurer au lecteur de l’agrément ou de l’instruction. Comme il a maintenant l’autorité nécessaire pour supprimer toute obscène rapsodie et toute basse invective, il a la confiance qu’aucun article de ce genre ne se détournera jamais de sa voie naturelle pour venir salir une seule des colonnes du Morning Herald. Quelles que puissent être ses préférences personnelles pour un système politique, il n’en résultera aucun préjugé qui le détermine à sacrifier jamais les lettres modérées et sensées qui lui seront adressées pour ou contre. Comme il n’a aucun désir de dissimuler une syllabe de ce qu’il écrira, il estime qu’on ne peut raisonnablement exiger de lui rien de plus que d’avouer tous ses écrits, et d’en accepter la responsabilité en toute occasion. Cependant, si jamais un réel dommage est causé à quelqu’un, soit par l’inadvertance accidentelle du rédacteur, soit par la flèche cachée d’un détracteur anonyme, il a la confiance qu’une réclamation convenable ne lui sera jamais adressée en vain. »

C’est à ce moment que James Perry débuta dans le journalisme. C’était un Écossais, jeune, actif, d’opinions très-décidées en politique, intelligent en affaires et d’un esprit inventif. Né à Aberdeen, il y avait fait d’excellentes études. Le besoin de gagner sa vie le conduisit d’abord à Manchester, où il passa deux ans comme commis chez un manufacturier, puis à Londres. Perry, en quête d’un emploi, composait pour se distraire de petits essais en prose et en vers qu’il jetait dans la boîte du journal the General Advertiser. Un jour qu’il se présentait chez un libraire auquel il était recommandé, pour savoir si on lui avait trouvé une occupation, le libraire, qui lisait un journal, se prit à lui dire : « Que ne savez-vous écrire des articles comme celui-ci ! » Il se trouva que c’était un article de Perry, qui revendiqua la paternité de son œuvre. Le libraire était un des propriétaires du General Advertiser, il conduisit immédiatement Perry au journal, et l’y fit admettre comme collaborateur avec une quinzaine de cents francs par an. Perry fit un instant la fortune de ce journal, lors du célèbre procès de l’amiral Keppel. Il se chargea de rendre compte des débats, et il expédia tous les jours de Portsmouth de quoi remplir sept à huit colonnes. C’était un tour de force que personne n’avait encore fait, et qui valut au General Advertiser plusieurs milliers d’acheteurs tant que dura le procès. Bientôt après, Perry conçut l’idée d’un nouveau recueil mensuel, l’European Magazine, qu’il fonda et dont il fut quelque temps le rédacteur en chef. Il quitta ce poste pour la rédaction en chef du Gazetteer, dont la direction politique et littéraire lui fut entièrement abandonnée. Perry débuta dans ses nouvelles fonctions par une innovation considérable. Les journaux n’envoyaient à la chambre des communes qu’un seul sténographe, qui ne pouvait recueillir qu’un squelette décharné des débats. Quand ils voulaient publier une discussion où les grands orateurs avaient parlé, ils étaient contraints de prolonger cette publication pendant plusieurs jours consécutifs, et il y avait même des journaux qui la continuaient pendant plusieurs semaines après la clôture de la session. Le Chronicle faisait exception. Son propriétaire et rédacteur en chef, William Woodfall, doué d’une mémoire extraordinaire, et qu’on avait surnommé Memory Woodfall, assistait lui-même aux séances.