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Ils peuvent bien encore avoir leur raison d’être dans une dissidence politique, mais c’est le cas le plus rare. Le plus important, le plus prospère des journaux anglais fait profession de n’appartenir à aucun parti, et de n’avoir aucune opinion traditionnelle ; les autres représentent ou essaient de représenter chacun une nuance de l’opinion, mais ils n’espèrent ou n’appréhendent rien du triomphe ou de la défaite du parti qu’ils soutiennent. L’objet principal de leurs efforts n’est pas de renverser du pouvoir les hommes qui le possèdent, ni d’y faire arriver le parti qu’ils défendent eux-mêmes; ce résultat, qui pourrait flatter l’amour-propre, n’aurait aucune influence sur leur publicité. S’ils luttent entre eux et avec acharnement, c’est à qui donnera le plus tôt et le plus exactement les nouvelles intéressantes : le journal ministériel, s’il n’est pas le mieux instruit, est assuré de n’être pas lu. Pour avoir la vogue, le crédit, l’influence, les lecteurs, il faut se procurer des renseignemens que n’auront pas les autres journaux, ou devancer ses confrères dans la publication des mêmes documens. Par quelle série de progrès successifs l’esprit de concurrence a-t-il amené la presse anglaise à cette situation? Quels sont les journaux qui ont pu soutenir cette lutte de tous les instans? Quels efforts et quels sacrifices leur impose la nécessité de vivre? Les détails dans lesquels nous allons entrer répondront à ces trois questions, en faisant connaître le développement qu’a pris la presse quotidienne en Angleterre, le nombre et l’importance des journaux actuels, enfin leur budget.


I.

Trois hommes ont fait les journaux ce qu’ils sont aujourd’hui en Angleterre. Leurs noms méritent assurément d’être mentionnés ici. Ce sont : James Ferry, du Chronicle; le second des trois Walter, et Daniel Stuart, du Post et du Courrier. Remarquons en passant que deux de ces hommes étaient Écossais, et que beaucoup des rédacteurs qu’ils s’associèrent étaient également Écossais. C’est là une preuve de plus de cette domination intellectuelle que l’Ecosse a exercée sur l’Angleterre depuis la fin du XVIIIe siècle, et contre laquelle Byron a protesté avec tant d’emportement. Cette domination n’a pas été moins réelle dans la presse quotidienne que dans la littérature des revues, dans la philosophie, dans le barreau et dans toutes les carrières libérales.

Dans les dernières années du XVIIIe siècle et les premières de celui-ci, les deux journaux marquans étaient le Times, alors tout nouveau dans les rangs de la presse, et le Herald, rédigé par Dudley, depuis sir Bate Dudley. Ce dernier était un ministre de l’église anglicane, que son caractère sacerdotal n’empêchait pas d’être un auteur dramatique en vogue, qui écrivait fort bien, se battait encore mieux, et que le métier de journaliste, grâce à la faveur du prince de Galles et du parti whig, devait conduire aux honneurs et à la fortune. Le Chronicle, fondé en 1769 et gouverné jusqu’en 1789 par William Woodfall, avait la vogue pour les comptes-rendus des débats parlementaires, que ce journal passait pour donner d’une manière plus fidèle et plus complète qu’aucune autre feuille quotidienne. Les journaux, du reste, étaient en voie d’amélioration, car Dudley, en prenant possession de la rédaction du Herald en 1780, avait cru devoir faire des promesses d’honnêteté qui donnent une idée