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est au contraire un art essentiellement lié à la vie réelle, aux habitudes, aux nécessités de la société au sein de laquelle il se produit. Combiner les lois du beau avec la destination d’un édifice, c’est le problème que doit résoudre l’architecte. Il faut donc créer de nouvelles formes pour les approprier à de nouveaux besoins. Or c’est là le difficile ; en Europe même, on y est rarement parvenu : il est encore plus malaisé d’atteindre à ce but dans un pays où, au milieu de la préoccupation incessante et impérieuse de l’utile, le sentiment du beau n’a pas encore eu le temps de se développer assez pour marcher sans guide, et pour l’architecture usuelle, on n’a aucun type qu’on puisse copier dans l’antiquité ou le moyen âge. En se soumettant aux conditions imposées par le temps, il faut trouver le beau et le combiner avec l’utile. On s’attend peut-être qu’aux États-Unis l’utile doit être la loi de l’architecture, que les architectes y seront les disciples de cette école qui compte des adeptes parmi nous, et dont M. Durand a exposé les principes avec tant de confiance, donnant un plan de Saint-Pierre refait d’après son système, et pour démontrer ce système donnant aussi le chiffre précis des millions et des hommes qui eussent été épargnés, si on l’eût suivi aux XVIe siècle ; car, selon cet auteur, on eût évité ainsi le protestantisme et par suite les guerres de religion, dont, comme chacun sait, les indulgences vendues par le pape pour aider à la construction de Saint-Pierre ont été la seule cause. Les Américains, tout utilitaires qu’ils sont, ne poussent pas si loin le fanatisme de l’utile. Les défauts de leur architecture ne viennent pas de là. Loin de subordonner tout dans cet art à des conditions d’utilité et de s’interdire les recherches du beau, ils le cherchent, mais malheureusement, mal inspirés, ils ne le rencontrent presque jamais. Ils ont aussi très souvent l’ambition de l’originalité, de la nouveauté ; or l’architecture est celui de tous les arts où, sauf certaines époques extraordinaires, il est le plus rare d’inventer ; ils imaginent y parvenir en mêlant de la manière la moins heureuse les différens styles d’architecture et en y mêlant aussi des ornemens de leur fantaisie, le tout en général sans nul égard pour la destination du monument qu’ils construisent. Ces réflexions m’étaient suggérées aujourd’hui par un singulier édifice qui s’est présenté à moi dans une rue de Columbus. Cet édifice est construit en brique avec une grande tour hexagone, une foule de tourelles, des portes et des fenêtres en marbre blanc, ayant un faux air, très faux il est vrai, de l’Alhambra. J’ai demandé quel pouvait être cet étrange bâtiment à un passant, qui m’a répondu en souriant d’un air assez satisfait : C’est comme un château. — Ce château bizarre est une école de médecine.

Voici qui vaut mieux que cette construction féodale en l’honneur d’Hippocrate. Je lis dans le journal de Scioto, petite ville de