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22 septembre, Columbus.

Aux États-Unis, le gouvernement ne réside presque jamais dans la ville principale de l’état. Ainsi ce n’est point à Cincinnati qu’est le capitole de l’état de l’Ohio, c’est à Columbus, dont la population est à peu près douze fois moins nombreuse que celle de Cincinnati. Il est sage de placer ainsi le pouvoir exécutif et les assemblées délibérantes hors des grands centres de population. Le gouvernement fédéral réside non dans une des vastes cités ou dans un des grands états de l’Union, mais dans le petit district de Columbia et dans la ville de Washington, qui ne compte que 40,000 âmes. À Columbus, la ville n’est guère qu’une rue, mais longue d’un quart de lieue et large comme la rue de la Paix. Au bout, on trouve la forêt. À droite et à gauche, il y a bien d’autres rues ; mais les maisons y sont en général petites et encore clair-semées, comme dans un village. Au milieu de ce village s’élève un monument immense qui sera le capitole, image de cette société où l’individu est petit, où la communauté est grande.

Partout, dans les rues agrestes de Columbus, on entend retentir le marteau et crier la poulie. On a le spectacle d’une ville qui s’élève. On pourrait dire comme Virgile peignant les commencemens de Carthage naissant à la parole de Didon :

Instant ardentes Tyrii ; pars ducere muros
Molirique arcern et manibus subvolvere saxa.


Mais ici Didon, c’est l’état de l’Ohio.

Je ne sais ce que sera le capitole de Columbus. Ce que j’ai vu jusqu’à présent de l’architecture aux États-Unis ne m’a pas charmé, excepté les grands travaux d’utilité publique, comme les réservoirs de Boston, qui sont construits avec une simplicité et une solidité vraiment romaines. Je n’ai pas encore visité ceux de New-York. Les Américains vont comme nous de l’antique au gothique, non-seulement pour les églises, mais pour les douanes, les banques, les collèges : leur antique ne vaut pas celui de la Bourse ou de la Madeleine ; ils ne savent pas faire le gothique comme les Anglais, qui parfois le font très bien, et, quand ils veulent imaginer du nouveau, ils tombent dans le baroque. Si la sculpture me semble l’art dont ils se tirent le mieux, je trouve que l’architecture est celui où ils brillent le moins. Je crois que le même principe rend compte de leur succès dans l’un de ces arts et de leur insuccès dans l’autre. Si la sculpture est un art sans rapport avec les mœurs modernes, un art où l’imitation de l’antique domine encore plus aujourd’hui que l’imitation de la nature, et si par conséquent il n’y a pas de raison pour qu’on n’y excelle pas dans un pays aussi bien que dans un autre, l’architecture