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tel, jugeant mieux de la situation, ne partagea point l’avis de ces messieurs. Les seules forces qui lui restaient étaient les bataillons suisses, lesquels, après s’être vigoureusement battus pour l’honneur à la défense du Monte Berico, sentant qu’ils étaient là contre la volonté du pape, commencèrent à dire tout haut qu’ils ne se souciaient point de servir davantage d’instrumens aux complots d’un ministère révolutionnaire avec lequel ils ne s’étaient jamais engagés. Durando négocia donc : pendant cette nuit même, des parlementaires furent envoyés aux avant-postes autrichiens, et sur-le-champ une capitulation eut lieu, par laquelle le général Durando s’obligeait à se retirer avec toutes ses troupes de l’autre côté du Pô, et à ne plus porter de trois mois les armes contre l’Autriche.

Disons-le cependant, la fortune avait ses retours, et tout au début de cette phase nouvelle on compta plus d’un échec. « À Goïto, par exemple, deux fautes graves furent commises : nous tînmes Bava pour plus faible qu’il n’était, tandis que d’autre part nous nous exagérâmes les forces du roi ; ce qui fit qu’on attaqua le premier trop à la hâte et sans être en nombre, alors qu’on se laissait imposer par le second, qui n’avait auprès de lui que neuf bataillons. Le général Benedeck, à mesure qu’il arrivait en vue de Goïto, rangea ses troupes en bataille. Nous n’avions jusque-là rencontré que d’assez faibles détachemens de cavalerie qui s’enfuyaient à notre approche, quand soudain, vers quatre heures de l’après-midi, la tête de nos colonnes fut saluée à coups de canon. Nous répondîmes à l’instant par le feu de nos batteries ; mais la supériorité de son artillerie nous indiqua bientôt que l’ennemi avait concentré ses forces sur ce point. » Dès lors l’engagement prit un caractère plus sérieux. Wohlgemuth d’abord, puis Clam, reçurent l’ordre de se porter au secours de Benedeck ; mais la difficulté du terrain s’opposait à l’exécution des manœuvres. Pendant ce temps, Benedeck à lui seul soutenait rudement l’assaut, non toutefois sans éprouver de grosses pertes, de sorte que lorsqu’arrivèrent les brigades de renfort, il avait trop souffert pour leur pouvoir prêter un secours utile. L’ennemi gagnait du terrain, et peu à peu on se voyait réduit à renoncer à tous ses avantages. Que faisait le général d’Aspre ? Comment cet intrépide pourfendeur tardait-il tant d’accourir sur le champ de bataille, où sa valeureuse présence aurait suffi pour captiver la victoire incertaine ? À tout moment on s’attendait à le voir déboucher sur le flanc droit de l’ennemi… Personne ! Misères de l’humanité, faut-il bien que jusque chez les héros on vous rencontre ! Le général d’Aspre était sujet à d’horribles accès de goutte, et cette maladie avait pour premier effet de paralyser en un clin d’œil tous ses mouvemens. Il souffrait alors les tortures d’un damné ; mais à l’entendre, les tortures