Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/692

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

autrichien jusque dans son dernier retranchement. Cette affaire de Sainte-Lucie, commencée par des escarmouches d’avant-postes, prit en peu d’instans les proportions d’un véritable combat ; l’engagement fut acharné, terrible. Les Piémontais ne se lassaient pas d’attaquer, les Autrichiens de leur opposer une imperturbable défensive. Le roi, toujours défiant à l’endroit de son aptitude stratégique, après avoir remis le commandement supérieur au général Bava, vint se mêler aux rangs de ses soldats ; puis, lorsqu’il les eut un moment animés de son exemple, il quitta le champ de bataille pour se rendre à une villa voisine autour de laquelle, disent les récits de la journée, il fit ensevelir quelques officiers de son état-major tombés victimes du sort de la guerre. Quand la dernière pelletée de terre eut recouvert le dernier trépassé d’entre ses adjudans, ce monarque pâle et comme marqué au front de ce signe de découragement et d’ennui que la fatalité semble imprimer à certaines figures mélancoliques de l’histoire, ce triste roi monta au belvéder de la villa Fenilone, d’où, sa lunette braquée sur Vérone, il attendait qu’un mouvement insurrectionnel se déclarât pour lui dans l’intérieur de la place ; ce qui toutefois n’eut pas lieu, grâce aux énergiques mesures de Radetzky et à la proclamation laconiquement sévère qu’il adressa aux Véronais en montant à cheval.

Des deux côtés les traits de courage et d’abnégation militaire ne manquèrent pas. J’en veux citer un qui rappelle à sa manière le sublime stoïcisme du colonel Combes à Constantine. Au début de l’action, le colonel Pottornaz, commandant le régiment François-Charles, a le bras emporté par un boulet. Il quitte les rangs, se dirige au pas de son cheval vers le général d’Aspre, et, du ton dont il aurait fait son rapport : « Excellence, dit-il, je viens d’avoir le bras droit emporté, et j’ai l’honneur de vous informer que je me vois forcé de me retirer du champ de bataille. » - « Ma bague ! ah ! ma bague ! » s’écriait à Fontenoy un brillant capitaine aux gardes-françaises courant après sa main enlevée par la mitraille. Élégance, esprit, légèreté, galanterie aimable et frivole jusque dans la mêlée et le carnage, n’est-ce point là le Français ? Formalisme, gravité didactique, culte chevaleresque de la discipline, de la hiérarchie, du protocole, voilà l’Autrichien.

La journée de Sainte-Lucie fut une de celles où, les circonstances paralysant l’action et le génie d’un chef d’armée, tout est remis à l’intrépide initiative des soldats. Le terrain glissant s’opposait aux mouvemens, la faiblesse numérique des troupes autrichiennes ne permettait pas les dispositions stratégiques. Il fallait mourir ou vaincre l’arme au bras : on vainquit. Aux uns et aux autres cette affaire coûta cher, aux Piémontais surtout, qui perdirent beaucoup de monde et quittèrent la place en plein désarroi. Lorsque le lendemain,