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évènemens ne l’en aurait pas moins entraîné vers la guerre. Par la guerre seule, il pouvait en effet reconquérir cette liberté d’action qu’il avait perdue en tirant l’épée pour une cause qu’il croyait être vraiment la cause de l’Italie. Vainqueur, il se serait tôt ou tard retourné contre la révolution ; vaincu, il se vit emporté par elle. Quelles épreuves pour ce prince hautain que celles qui l’attendaient, lui et son armée, dans les rues de Milan ! Cette ingratitude féroce, inouïe, avait laissé au fond de son âme un tel levain d’amertume et de colère, que, si le sort des batailles se fût prononcé en sa faveur, les Milanais auraient peut-être trouvé en lui un triomphateur, un juge bien autrement sévère que Radetzky. Et le soir de la bataille de Novare, se figure-t-on l’immense désespoir qui dut s’emparer de ce cœur de roi ? Charles-Albert, dans l’insondable profondeur de son découragement, avait laissé à d’autres la direction de la bataille. C’était assez pour lui de se jeter partout au plus épais de la mêlée. « Il fut un des derniers qui abandonnèrent les hauteurs de la Bicoque ; et plusieurs fois, en se retirant, il se retourna vers nous, arrêtant son cheval au milieu du feu, puis, comme les balles semblaient ne le vouloir pas atteindre, il mit son cheval au pas et gagna la ville. » Ainsi s’exprime le général Schoenhals, l’aide-de-camp de Radetzky. Continuons le récit de cette dernière heure, elle a sa grandeur et son enseignement. « Pendant ce temps, nos batteries avaient occupé les hauteurs d’où nous venions de débusquer l’ennemi et faisaient un feu terrible sur la ville. Les Piémontais nous répondaient du sein des remparts démantelés. Là se tenait le roi, debout derrière les canons, promenant son œil morne sur cette plaine dans laquelle il venait de laisser sa couronne, indifférent désormais aux ravages que la mitraille exerçait autour de lui. À chaque instant, ceux qui l’accompagnaient s’attendaient à le voir tomber, et comme le général Jacques Durando s’efforçait de l’entraîner par le bras : « Laissez-moi, général, s’écria le malheureux monarque, laissez-moi, c’est mon dernier jour, et je veux mourir ! »

Cette scène se passait le 23 mars 1849. Il y avait un an, jour pour jour, que Charles-Albert avait lancé son fameux manifeste et franchi le Tessin à la tête de son armée. Avoir rêvé la couronne de fer, rêvé les duchés de Plaisance, de Parme et de Modène, s’être vu sacrer par la main du pape au Capitole, et se réveiller d’un songe si magnifique dans la défaite, dans l’isolement, dans l’abîme de toutes les douleurs morales et physiques ! La religion seule pouvait en ce moment venir en aide à cette puissance brisée dont la tombe refusait d’ensevelir le désespoir. Laissons les railleurs plaisanter des pratiques dévotes de Charles-Albert, et rire de ce roi qui mettait ses étendards sous l’invocation spéciale de la sainte Vierge. Sans doute, le temps n’est plus